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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
L'organisation des musées
L’ORGANISATION DES MUSEES<
C’est peut-être sur l’actuelle organisation de nos musées que pèse le plus lourdement la détestable conception de « l’art pour le peuple ». Théoriquement, le musée, c’est la galerie d’art ouverte à tous, la possibilité pour tous d’une initiation artistique. Et pratiquement ? Pratiquement, c’est l’échec complet d’une bonne volonté venue d’en haut, venue du dehors, précisément parce qu’elle ignore les véritables aspirations populaires, parce qu’elle persiste à tenir le peuple pour un consommateur, et non pour un créateur de beauté.
Qu’est-ce qu’un musée aujourd’hui ? Quelque chose comme la boutique d’un brocanteur, un étrange bric-à-brac où se juxtaposent pêle-mêle les objets les plus hétéroclites et les plus incongrus : une momie égyptienne et une toile de Mignard, la tiare d’un pape et une pièce d’histoire naturelle. « Les musées nous trompent parce qu’ils ne recèlent que des objets décorés, objets d’exception ; ils ont de la prédilection pour les bizarreries, les niaiseries et les monstres » (3). Comment faire revivre une époque dans un semblable capharnaüm ? On prétendait à l’éducation du peuple, et voici que pour se guider dans ce dédale, il faut précisément une éducation déjà remarquable, un choix éclairé voire même ce flair qui ne peut être le fruit que d’une culture artistique étendue.
Un conservateur essaie-t-il d’ordonner ses collections ? C’est trop souvent pour aligner les tableaux dans une galerie, les plâtres dans une autre - morne étalage où l’attention se lasse sans profit pour l’imagination. Ainsi tout s’organise en vue de savantes monographies, sans le moindre souci d’évoquer, de ressusciter le passé. Comme si la statuaire et la peinture pouvaient suffire à représenter une époque ! Comme si elles avaient un sens une fois séparées l’une de l’autre ! Cette fois encore, le spécialiste réussit à la rigueur à retrouver son bien : le peuple, faute d’une préparation suffisante, est de nouveau sacrifié.
Bien plus, il semble qu’on prenne à coeur de rebuter le public. Nos musées ne sont pas accueillants. On y venait chercher un délassement : on en sort fatigué, rompu. Ici, il faut lutter avec un faux-jour, ailleurs avec l’obscurité. Peu de sièges, beaucoup de cerbères. Et par surcroît des entrées payantes, bien faites, surtout en temps de crise, pour attirer les travailleurs. Faut-il donc s’étonner que le peuple boude nos musées, qu’il se sente étranger dans la maison qui devrait être la sienne. Il faut bien le constater avec M. Georges Wildenstein (4), « nos musées sont des nécropoles, des membres morts de la collectivité ».
Est-il possible de leur rendre la vie ? Nous n’en doutons pas. Tout un ensemble d’améliorations pourraient déjà permettre d’attirer, puis de retenir le grand public. A cet égard, la publicité sous toutes ses formes n’est pas à dédaigner, et les Belges l’ont bien compris, les Américains encore mieux. L’entrée gratuite est à instaurer immédiatement : n’a-t-il pas été reconnu en Grande-Bretagne, que les taxes d’entrée ne couvraient que la centième partie des dépenses d’entretien des galeries publiques ? Au reste, le développement du tourisme ne compense-t-il pas, et largement, les légers sacrifices qui consistent à supprimer tout ce qui fait obstacle à la fréquentation des musées ? Dans le même esprit, il convient d’ouvrir les musées le soir, comme la lumière électrique le permet, de façon que les travailleurs puissent y accéder dans leurs moments de loisir. Il serait plus urgent encore de supprimer les circuits compliqués, de décongestionner les salles surchargées, de leur donner de l’air, de la lumière, de créer des cadres dignes des oeuvres exposées. Des architectes spécialisés seraient ici d’un grand secours, mais c’est surtout une organisation d’ensemble qui permettra de supprimer les poussiéreuses et inutilisables réserves des grands musées trop riches au profit de collections moins favorisées. Au lieu de multiplier les musées anarchiquement, à l’occasion d’une commémoration quelconque, il serait préférable d’instituer de fructueux échanges nationaux et internationaux, d’envisager des expositions temporaires qui par leur diversité secouraient la torpeur de nos galeries de province et attireraient à elles un public toujours renouvelé.
Cependant, séduire le public, est-ce bien là tout l’idéal que doit se proposer la réorganisation de nos musées ? Peut-être s’agit-il moins de plaire que d’éduquer. Or seuls des conservateurs ayant reçu une formation spéciale (et rien ne montre mieux la nécessité d’une « politique des musées ») auraient l’autorité nécessaire pour opérer ces regroupements rationnels des oeuvres d’art qui permettraient au peuple d’aimer et de comprendre le passé. « L’ensemble d’époque », voilà peut-être la plus fructueuse des méthodes modernes d’exposition, et elle tient si peu de l’utopie qu’elle se trouve d’ores et déjà réalisée, quoique à des degrés différents, dans plusieurs musées de France et de l’étranger.
Voici par exemple le Musée alsacien de Strasbourg. Installé à dessein dans une vielle maison de style alsacien, il ne se borne pas à réunir au hasard les mille curiosités de l’art populaire. Très consciemment il vise à la reconstitution des intérieurs : tels sa chambre paysanne ou son laboratoire d’alchimie. Ce sont donc des classes sociales ou des corporations qui revirent, et la valeur éducative du musée en est largement accrue. Elle le serait plus encore si la nécessité de tout faire tenir en un seul immeuble n’aboutissait pas à surcharger les salles.
Avec le grand hall du Deutsche Museum à Berlin, nous abordons des ensembles plus vastes. Dans cette salle de 40 mètres sur 30, et 18 de haut, le grand autel de Zeus à Pergame est restauré. « L’on a critiqué maintes fois ces restaurations qui mêlent le plâtre aux marbres authentiques. La révélation des anciennes proportions, la sensation de la vraie grandeur de cette architecture est si intense que ce nouveau musée semble le seul au monde où l’on puisse étudier et comprendre l’esprit de l’architecture classique » (5). Partout sont entremêlés heureusement peinture, sculpture, mobilier d’une même période. Ainsi est évitée la froideur des musées spéciaux. Les oeuvres de second ordre sont reléguées en des salles d’études ouvertes aux seuls spécialistes. Au grand public on réserve la vivante atmosphère qui est le fruit d’un vaste effort de synthèse.
Cependant le ciel manque encore à la fête : les verrières du plafond soulignent l’artifice de la reconstitution. Transportons-nous alors au village-musée norvégien de Maihaugen : cette fois, c’est une église et des maisons entières qui ont été apportées poutre par poutre. Témoignage d’une existence prise sur le vif : un métier, avec sa tapisserie commencée il y a quatre cents ans et qui demeure inachevée (6). Cette fois c’est une société tout entière qui revit. Sous le ciel qui l’éclaira, une ville du passé dévoile le secret de ses moeurs privées et publiques. Le musée d’art est devenu musée d’ethnographie.
Peut-on attendre de notre société bourgeoise un reclassement analogue de nos richesses artistiques ? Ce ne sont certes pas les possibilités matérielles qui font défaut. Si « l’Amérique se donne une peine énorme pour transporter chez elle quelques débris dont elle encadrera une statue gothique, une toile de Fragonard » (7), nous avons, nous, une foule d’hôtels particulière Cluny, Lauzun, Biron qui constituent un cadre naturel pour des reconstitutions historiques appropriées. Bien plus, des villes entières Montferrand, Carcassonne, sont de vivants vestiges du passé. En vérité, ce n’est pas de pénurie que nous souffrons. Les difficultés sont ailleurs.
Elles tiennent d’abord au régime qui tolère qu’une foule de monuments historiques demeurent la propriété personnelle de quelques privilégiés, ou que des municipalités, faute de ressources autonomes, utilisent à des usages profanes des chefs d’oeuvre de l’art antique. Elles tiennent encore au système des donations et des legs, qui, suppléant à la carence de l’État alimentent presque exclusivement nos collections nationales. Dans quelle mesure un musée peut-il démembrer la collection dont il est bénéficiaire? La volonté du donateur doit-elle peser éternellement sur la présentation des oeuvres dont il s’est dessaisi au profit de la collectivité ? Très sagement, notre ami Georges Monnet indique que le problème est ici surtout un problème de temps. S’il est légitime de respecter pendant un certain nombre d’années les intentions du collectionneur, il vient un temps où l’unité de la collection ne présente plus le même intérêt. « Ce serait somme toute assimiler le collectionneur à un auteur dont l’oeuvre tombe dans le domaine public au bout d’une certaine période. Qui se soucie, aujourd’hui, au Louvre, de distinguer la collection Lacaze des tableaux environnants ? Au contraire, l’association des estampes japonaises et des impressionnistes de la collection Camondo n’est pas encore pour nous absolument dénuée de signification. » (8)
C’est donc dans la suprématie du droit public sur le droit privé qu’il faut chercher le secret d’une réorganisation d’ensemble de nos musées, et c’est assez dire que le sort de cette réorganisation est intimement lié à celui du socialisme tout entier. Touchante pensée que d’appeler le grand public à la contemplation de nos trésors artistiques : le malheur veut que pour faire fructifier ces richesses, il faudrait justement le triomphe des aspirations populaires, substituant l’organisation collectiviste à l’anarchie d’un régime où l’art lui-même subit les entraves de la propriété privée. Le peuple ne peut donc pas rester éternellement spectateur. En art, plus peut-être que dans tout autre domaine, ne sera vraiment à lui que ce qu’il aura créé.

Notes</
(3) Op. cit., p. 7, n.1.
(4) Musées, enquête internationale sur la réforme des galeries publiques, dirigée par G. Wildenstein, p. 370. Voir également l’excellent article de notre ami Georges Monnet.
(5) Bulletin de l’art ancien et moderne, supplément à la Revue de l’Art, 1931, p. 28.
(6) Illustration, du 4 avril 1931.
(7) Musées, op. cit, p. 373.
(8) Musées, op. cit., p. 351.
 

 
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