ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
François Hollande, Les responsabilités du PS
LES RESPONSABILITES DU PARTI SOCIALISTE
entretien avec François Hollande

Premier secrétaire délégué du Parti socialiste
(Recherche socialiste n° 1/1997)
(octobre 1997)

Quelle est la situation actuelle du Parti socialiste depuis les élections législatives ?
Il faut d’abord analyser la victoire elle-même, inattendue pour beaucoup, mais néanmoins préparée depuis des mois par Lionel Jospin et son équipe. Nous espérions cette victoire, même si nous nous étions plutôt fixés l’échéance de 1998. Mais nous n’étions pas certains du succès.
Aujourd’hui encore, de nombreuses fragilités demeurent. Certes, nous sommes majoritaires, et encore nous ne le sommes pas à nous seuls, ils nous faut l’appoint des communistes et du groupe RCV. Mais en même temps nous faisons un constat : dans dix-sept départements français, il n’y a pas de député socialiste. Nous avons réussi à nous réimplanter sur nos terres socialistes traditionnelles - le grand sud-ouest, le Nord-Pas-de-Calais, en Bretagne et dans une partie du Massif central - mais nous devons constater des déceptions, notamment en région parisienne : notre victoire n’est pas aussi générale qu’on l’imagine. Les socialistes et leurs alliés ne sont pas majoritaires dans l’ensemble du pays. Cette victoire est également accompagnée d’une montée du Front national qui est inquiétante.
A partir de là, quand on a bien compris ce qu’était à la fois le rejet de la droite, les aspirations à notre endroit, mais aussi les fragilités qui demeurent, on peut mieux percevoir les tâches qui nous incombent aujourd’hui. Celles qui relèvent du gouvernement, et celles qui appartiennent au Parti. Pour ce qui concerne le Parti socialiste, je pense que nous avons avantage à améliorer tout ce qui est échange d’informations entre les militants, les responsables - que ce soient les cadres du Parti ou les élus - et le gouvernement. Le gouvernement ne réussira pas tout seul, et les socialistes ne gagneront pas en restant à côté du gouvernement. Ce lien - qui à mon avis doit être absolument établi - constitue toujours un problème dans les périodes où nous sommes aux responsabilités sous la Ve République, nous devons en être conscients.
Le Parti socialiste ne doit pas seulement être un spectateur, se livrant à des applaudissements frénétiques : il doit aussi être un acteur. Premièrement, en faisant des propositions, en anticipant sur les choix du gouvernement. Deuxièmement, en complétant ses analyses doctrinales. Nous avons tenu trois conventions en 1996, ce n’est pas pour autant que la réalité s’est arrêtée à la fin de ces travaux. Cette réflexion devra être poursuivie.

Le Parti socialiste a toujours eu un rapport ambigu au pouvoir, depuis le Front populaire. Tu parles de "complémentarité", pourrait-on parler "d’indépendance" ?
Non, je ne dirais pas indépendance, car nous sommes dans une situation inédite, historiquement. Nous avons connu, sous les IIIe et IVe République le Parti - la SFIO - au pouvoir. Le Parti, formation politique, exerçait le pouvoir. Les ministres se confondaient avec les responsables du Parti. Avec la Ve République, on a connu une autre situation, où le président de la République n’était plus le chef du Parti, par définition, et où le Premier ministre ne l’était pas non plus. Le Parti était l’élément majoritaire, mais souvent à côté du pouvoir.
Nous sommes aujourd’hui dans la situation où le Premier ministre est encore le chef du Parti - formule transitoire -, tandis que le président de la République nous est hostile.
Donc il faut inventer une formule nouvelle, qui est l’association. Nous devons être associés au pouvoir, c’est-à-dire que nous devons, à tous les moments où les décisions sont prises, intervenir en amont le plus souvent possible, participer à la décision, et c’est ce qui se produit jusqu’à présent. Lionel Jospin, à travers les dirigeants du Parti, à travers le premier secrétaire délégué - demain premier secrétaire - prend soin de nous inviter dans des réunions - non pas du gouvernement, ce qui serait contraire à nos institutions et à notre pratique - pour donner notre point de vue sur les choix décisifs.

Y a-t-il derrière la direction du Parti des militants qui sont capables et qui ont envie d’impulser, de soutenir, d’appuyer l’action du gouvernement ?
Le pouvoir crée à la fois une fascination et une angoisse chez nos militants. Fascination, car il y a la possibilité de satisfaire un certain nombre d’attentes et de revendications. Angoisse, car on peut toujours avoir peur de l’échec, et donc de la défaite.
Je crois qu’il faut éviter ces deux attitudes, ces deux écueils : l’admiration du pouvoir pour le pouvoir, dans laquelle on peut succomber, mais aussi cette espèce de défiance, qui peut nous paralyser. Il faut accepter de façon sereine le rapport au pouvoir, et y voir simplement l’instrument d’une réforme en profondeur de la société française et une lutte par rapport aux deux enjeux majeurs que sont le chômage et la lutte contre les inégalités.
C’est comme cela que l’on devrait arriver à créer un civisme militant chez les socialistes : être à la fois convaincu qu’il ne s’agit pas seulement de conquérir le pouvoir mais de le défendre au quotidien, et en même temps transformer la société française.

Qu’est-ce que la transformation de la société française ?
Là encore, situation inédite. On a connu Léon Blum, Pierre Mendès France, Guy Mollet. Une période où on savait que le temps nous était compté. On connaît la fragilité des situations politiques de l’époque. Après, nous avons connu une situation où nous pouvions penser, en 1981 et surtout en 1988, que nous étions protégés par les institutions. Le temps constituait une certitude. Aujourd’hui, nous sommes dans une troisième situation : nous ne sommes ni dans la vulnérabilité absolue, ni dans la sécurité. Nous devons cependant nous inscrire dans la durée, en sachant que le président de la République peut dissoudre. Si nous faisons nôtres la vulnérabilité, la fragilité, nous ne gouvernerons que par saccades. Si nous nous installons dans une durée idéale, nous pourrions connaître des surprises désagréables.
C’est pourquoi la réforme est indispensable, mais il faut l’inscrire dans la durée : nous ne sommes pas là pour disparaître dans quelques mois.

Les "vieux" slogans du passé - la rupture avec le capitalisme, etc. - sont-ils totalement remisés aujourd’hui aux oubliettes ?
La logique de la "rupture" est abandonnée. Nous n’en sommes plus à considérer que notre seul passage aux responsabilités, même sur un temps long, suffira à créer la transition d’une société à une autre. Nous en sommes tous revenus.
En même temps, la lutte contre le chômage aujourd’hui n’est-elle pas de l’ordre de l’idéal, est-ce simplement une réforme graduelle de la société française que d’extirper durablement le mal du chômage ? Dans notre société d’aujourd’hui, 12 % de la population active n’a pas de travail, et sans doute 20 à 30 % de la population vit dans la précarité. Est-ce que de fixer comme objectif de remettre l’ensemble de cette population dans l’activité, dans l’emploi, dans le rapport salarié, ce n’est pas déjà une vraie réforme en profondeur de la société, et presque un idéal ? L’objectif est presque révolutionnaire. Si nous arrivions au terme de cette législature à faire passer le chômage de 12 % à 8 ou 9 %, rêvons un peu, ce serait en soi un changement qui ne serait pas simplement économique, ni social, mais qui serait culturel, et qui créerait une autre ambiance dans notre société.
Enfin, si au terme de cette législature nous avions été capables, non seulement d’avoir réalisé l’Europe monétaire, mais aussi d’avoir remis l’Europe politique dans une véritable dynamique et l’Europe sociale sur ses bases, je pense que nous aurions là aussi contribué à aller vers l’idéal.

Comment sont aujourd’hui les adhérents du Parti socialiste face à ce retour au pouvoir, eux que l’on disait désabusés depuis plusieurs années ?
Les adhérents du Parti socialiste - avec leur spécificité qui tient à leur engagement - sont assez représentatifs de l’ensemble des Français. De la même manière qu’avant les élections ils pouvaient espérer la victoire, ils pouvaient en redouter les conséquences. Comme beaucoup de Français, ils étaient dubitatifs quant à la capacité d’un gouvernement à changer l’ordre des choses, même s’ils sont plus volontaristes que d’autres, puisque socialistes. Mais depuis l’élection de juin, les adhérents du Parti socialiste sont comme les Français, ils ont envie que cela marche. Ils ont envie que le gouvernement de Lionel Jospin réussisse. Ils ne souhaitent pas, et moins que d’autres encore, qu’il y ait de nouvelles déceptions. A partir de là, ils sont non pas plus patients, plus tolérants ou plus conciliants, mais plus actifs dans la recherche de solutions. De le même manière que les Français comprennent bien les réalités, le temps qui est nécessaire pour mener à bien des réformes, le souci d’équilibre de Lionel Jospin, les socialistes ont le même comportement. Ils voient aujourd’hui mieux comment trouver leur place, jouer leur rôle, et appuyer les efforts du gouvernement.
Je les sens plus mûrs, plus sereins qu’il y a quelques années, et plus convaincus que le gouvernement ne réussira pas tout seul.

Donc, tout en ayant confiance, les militants sentent peut-être qu’on a plus besoin d’eux que dans la période précédente ...
Oui.
... Alors qu’après 1981 on se reposait davantage sur le gouvernement ...
On a commis - la société et les partis de gauche - deux erreurs en 1981 et même en 1988 : l’erreur de penser que le politique pouvait tout, puisqu’il voulait tout, et celle que le politique n’avait pas besoin du reste de la société pour mener à bien les réformes qu’il engageait. C’est ce qu’on avait appelé la culture de la délégation : ils ont été élus pour cela, qu’ils le fassent. Je crois que nous avons tous collectivement changé, mûri peut-être, et nous avons mieux compris que le politique ne pouvait pas tout, quelle que soit la force de conviction de ceux qui se tiennent au sommet de l’État. On a compris aussi que le mouvement social, les acteurs sociaux et la dynamique d’une société faisaient peut-être autant que le politique...

... et qu’on pouvait aussi avoir besoin des critiques éventuelles...
Je ne m’inquiète pas de cela, elles viennent assez spontanément en général ! Ce serait faire injure aux socialistes que de penser qu’ils pourraient à un moment taire ou camoufler leur esprit critique : il est consubstantiel de leur engagement.
Maintenant, la critique s’exprime de façon différente. Elle est toujours aussi vive, aussi informée, mais la lucidité a beaucoup progressé. De la même manière que les Français n’ont pas été dupes de l’opération de la dissolution, de la même manière les Français - et les socialistes - ne seraient pas dupes d’opérations qui viseraient à aller moins vite, à calmer le jeu, à se distraire de nos engagements. L’attitude de beaucoup d’hommes et de femmes de gauche, socialistes en particulier, sera de faire des critiques constructives, mais sans volonté d’affaiblir le gouvernement.
A l’occasion de notre congrès, nous aurons un grand débat entre socialistes. Nous aurons ceux qui voudront tirer le gouvernement vers des positions qui sont compatibles avec nos engagements passés et nos possibilités d’actions d’aujourd’hui et de demain. D’autres voudront avancer des propositions qu’ils savent contradictoires avec nos engagements, avec la réalité, et avec les traités internationaux, notamment européens. C’est là que nous verrons ce que les socialistes veulent : corriger, améliorer, amender, entrer dans un processus constructif de renforcement d’un processus de changement, ou constituer une opposition supplémentaire à un gouvernement de gauche.

Ni pause, ni recul, ni reniement. Le Parti socialiste est-il garant que ce pari sera tenu ?
C’est le Parti, bien sûr, c’est aussi le Parti et le gouvernement.
Si c’est le Parti qui suspecte le gouvernement de faire la pause, et si c’est le gouvernement qui suspecte le Parti d’aller plus loin que les engagements initiaux, le malentendu sera présent. Pour qu’il n’y ait aucune pause, encore faut-il qu’on soit au bon rythme. Rien ne serait pire que de commencer très fort, et d’arrêter vite.
Pas de reniement, cela suppose qu’on ait ce souci constant qu’a Lionel Jospin de respecter nos engagements, mais de ne pas les respecter comme des notaires ou des huissiers, de les respecter par rapport aux objectifs qui sont les nôtres.
Quant au recul, je crois que s’il y a un mouvement social fort, s’il y a des relais dans l’opinion, il n’y aura pas de recul. Je pense qu’il y aura une très forte offensive de la droite, de l’extrême droite, du patronat aussi. Pour qu’il n’y ait pas de recul, il faut qu’il y ait un Parti socialiste très fort.

Le Parti socialiste a donc besoin de militants conscients et responsables, mais aussi formés.
On ne peut pas en tant que responsable politique souhaiter une meilleure formation pour les Français, une meilleure diffusion du savoir, un meilleure connaissance des données économiques et sociales, et ne pas souhaiter parallèlement pour nos militants un même engagement en faveur de la formation.
Nous avons au cours de cet entretien beaucoup évoqué l’histoire : l’histoire est déterminante, pas simplement pour comprendre le présent, ce qui est déjà beaucoup, mais aussi pour faire les bons choix d’avenir. Je crois que l’enjeu de la formation va être essentiel.
A partir de là, les débats, les revues théoriques, les colloques doctrinaux, en France comme au plan européen, seront un des éléments de la bataille politique.
Il faut que nos adhérents n’aient pas seulement des slogans, mais qu’ils aient aussi l’ensemble des données qui leur permettent de trouver une perspective réaliste à leur attente.
Je crois que nous avons absolument besoin de cet effort que vous engagez actuellement avec la relance de votre revue, que le Parti socialiste lui-même devra mener à bien, avec des formes différentes du passé. Au-delà du militantisme au quotidien, celui des tracts par exemple, sans qu’il y ait des hiérarchies à établir, il faut améliorer notre information immédiate sur les données de la réalité, et aussi essayer de poser très clairement les débats par rapport à l’histoire et par rapport à l’Europe.

(propos recueillis par Denis Lefebvre)
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris