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Chapuis /C Charle , Disconcordance des temps \ L'
Les temps modernes,
par ROBERT CHAPUIS

A propos de Christophe Charle, Disconcordance des temps. Une brève histoire de la modernité, Armand Colin, 2011, 494 p, 29,90 €

Article paru dans L’OURS n°416, mars 2012, p. 1

Le XVIIe siècle a connu la querelle des Anciens et des Modernes et le XVIIIe celle des classiques et des modernes. Au XIXe siècle, quand les romantiques s’opposent à leur tour aux classiques, c’est le terme de modernité qui se dégage. C’est sur cette base que l’historien Christophe Charle a choisi d’écrire « une brève histoire de la modernité ».


Il est vrai que l’histoire est faite de ruptures et qu’un temps s’oppose à l’autre pour affirmer sa vérité et le progrès qu’il représente. En réalité, il n’en fut pas toujours ainsi. On eut longtemps le culte de la tradition et il fallut attendre la Renaissance pour qu’une génération se définisse non pas en fonction de la précédente, mais par référence à beaucoup plus ancien qu’elle, à l’Antiquité. Elle ouvrait ainsi une nouvelle phase qui allait déboucher sur une « discordance des temps » entre générations successives. Au XIXe siècle, à l’ombre de la Révolution française, apparaît un nouveau principe qui trouve sa première application en peinture, sous la plume de Baudelaire, le principe de modernité : il ne s’agit pas de faire moderne, mais de s’inscrire dans une évolution « discordante », comme Darwin en fera plus tard la théorie pour l’espèce humaine.

Le grand siècle des républicains
Une première étape de cette modernité va, selon l’auteur, de 1830 à 1850. C’est la génération romantique, celle qui oppose Shakespeare à Racine, qui célèbre Delacroix ou qui propulse Victor Hugo ou Alfred de Vigny sur le devant de la scène. Elle est républicaine et contribue aux révolutions de 1848 qui secouent la France mais aussi toute l’Europe, tandis que la traverse une autre révolution, celle de la production, la révolution industrielle. À cette première partie de l’ouvrage s’en ajoutent deux autres qui partent de 1850, mais n’ont pas la même durée, l’une s’achève en 1890, l’autre en 1914. Dans le premier cas, avec le Second Empire et les premiers temps d’une République qui va durer, on voit se succéder dans les arts et dans les sciences, les inventeurs d’un monde nouveau. Les idéologies peuvent s’opposer, qu’il s’agisse du libéralisme ou du communisme, les « écoles » littéraires ou artistiques peuvent bien se distinguer, voire se déchirer : tout se fait désormais sous le signe du futur. Haussmann, Manet, Auguste Comte, Émile Zola, dans les registres les plus divers, manifestent la même volonté de s’inscrire dans le temps pour ouvrir une nouvelle histoire. La société toute entière se met en mouvement : l’électricité, le chemin de fer, le télégraphe changent les rapports humains tandis que de nouveaux projets politiques, sociaux, culturels sous l’égide de la nation rapprochent les hommes ou au contraire les dressent les uns contre les autres. Le meilleur symbole de cette « modernité » qui s’empare du monde est sans doute l’aventure de la presse : la liberté de la presse, dont la mise en cause a provoqué la chute de Charles X, constitue une opinion publique et ouvre le débat à des couches nouvelles, de mieux en mieux éduquées, de plus en plus tournées vers l’avenir.

Christophe Charle, dans une analyse transversale de tous les ressorts de la période, nous aide à mieux saisir ce qui fait l’unité de ce siècle, le XIXe, où tout semble commencer. Ce dynamisme va peser lourd sur un XXe siècle qui s’ouvre dans l’espérance et se tord vite dans d’épouvantables convulsions à l’échelle de la planète entière.

Incertitudes et contradictions
La dernière partie concerne précisément le XXe siècle, marqué par de nouvelles utopies aussi bien que par des courants pessimistes et réactionnaires. On voit le Pape condamner le modernisme pendant que d’autres attendent « le grand soir ». La modernité prend une tournure américaine pour les uns, soviétique pour les autres, tandis que l’Europe s’efforce de renaître de ses cendres. On en appelle aussi à la modernité pour baptiser des changements de la ville, de la littérature, des rapports entre les hommes et les femmes, du rapport au corps… et aussi de la stratégie militaire. La discordance des temps se fait au nom d’une modernité perpétuelle. L’auteur se réfère à un proverbe chinois (bien sûr…) : l’homme est à cheval sur un tigre, s’il s’arrête, il sera mangé, s’il continue, où va-t-il ?

Le livre de Christophe Charle participe lui-même de la modernité de l’histoire : il prend en compte les diverses composantes du siècle, économiques, sociales, politiques, culturelles jusqu’à la vie quotidienne et s’élargit aux dimensions de l’Europe, voire au-delà.

Il s’achève sur une interrogation : le XXIe siècle connaîtra-t-il une nouvelle rupture ? Bonne question au moment où les Français semblent hésiter entre la IIIe République et l’Ancien Régime, tandis que les peuples des pays émergents ou du monde arabe hésitent entre le retour à la tradition ou le choix d’une autre modernité. L’histoire n’a pas encore trouvé son sens et l’historien nous invite à la modestie.
Robert Chapuis
 

 
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