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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux / Martelli, l'empreinte communiste,
Le communisme français, problèmes d’adaptation
par Alain Bergounioux

à propos de Roger Martelli, L’empreinte communiste. PCF et société française (1920-2010), Éditions sociales, 2010, 260 p, 12 €


Article paru dans L’OURS n°405, février 2011, p. 4

Roger Martelli, historien du communisme et longtemps militant – il vient de quitter le PCF avec le « Mouvement des réformateurs », dernière dissidence d’une longue liste depuis les années 1970 – a consacré depuis une trentaine d’années de nombreuses études à l’histoire et aux problèmes spécifiques du Parti communiste français. Il publie aujourd’hui un essai en forme de bilan qui synthétise sa réflexion et offre des données précieuses.

Ce bilan, Roger Martelli le fait comme historien et comme militant. Mais les deux côtés de l’analyse ne se contredisent pas, car ils sont menés par la passion de comprendre. C’est à un triple inventaire de « l’empreinte communiste » dans la société française que l’auteur se livre avec une histoire politique, une sociologie historique, une réflexion sur l’idée communiste et son éventuel avenir.

Une histoire du PCF
L’analyse insiste à juste titre sur les conditions de la naissance du phénomène communiste en France – sur lesquelles revient aujourd’hui un jeune historien, Romain Ducoulombier à partir d’une thèse éclairante (voir ci-contre). Roger Martelli insiste sur le terrain favorable existant en France. L’existence d’une radicalité révolutionnaire depuis 1789 explique le succès de la « greffe bolchevique » pour reprendre l’expression d’Annie Kriegel. L’auteur insiste davantage sur le premier aspect. Mais il ne diffère pas d’elle en accordant toute sa place à la conjoncture de la guerre et de l’après-guerre avec la déstabilisation qu’elle a entraînée de la société, et surtout, du socialisme et du syndicalisme français. Le point le plus important cependant vient après pour comprendre la montée et le déclin du Parti communiste. Sa « bolchevisation » que connaît le jeune parti encore composite après Tours est fondamentale pour forger sa nature. Roger Martelli le reconnaît. Mais il insiste tout autant sur la capacité qui a été celle des communistes d’incarner (et d’encadrer) le moment d’expansion du monde ouvrier dans notre pays, dans les entreprises et les banlieues. C’est la particularité du Parti communiste justement, parti différent des autres, lié à un projet international, qui a fait sa force d’appel pendant quelques décennies. Le livre s’attache à décrire de manière précise les trois vagues d’implantation dans la société française qui ont fait le communisme français, celle des années qui ont suivi le congrès de Tours, celle qui a suivi le tournant de juin 1934 et a accompagné les années du Front populaire, celles des années qui ont suivi la Libération, où le Parti communiste a été le plus près de façonner une réelle contre-société. C’est ainsi à une « écologie du stalinisme français » que le cœur du livre est consacré, dans ses dimensions politiques, sociales, culturelles à partir des travaux antérieurs de l’auteur et des nombreuses études déjà effectuées sur le sujet, celle de Bernard Pudal notamment.

Roger Martelli relève bien cependant que la force française du communisme a tenu principalement à « l’adaptation » qu’il a mise en œuvre après juin 1934 du modèle bolchevique aux réalités de l’héritage du républicanisme jacobin. Car jusque là, il n’avait cessé de perdre de l’influence et la tactique « classe contre classe » l’amenait à une impasse – même s’il avait formé une génération de militants politiques et syndicaux. Là se situe la contradiction fondamentale du communisme français. Il n’a étendu son influence que dans les périodes où il s’est ouvert à la société française, dans la Résistance, dans les années 1960 avec la déstalinisation, enfin reconnue, sinon acceptée, dans les premières années 1970, malgré la concurrence du Parti socialiste, avec la tentative de définir un « euro-communisme ». Mais, à chaque fois, l’adaptation tourne court, car les dirigeants communistes, appuyés sur un appareil profondément légitimiste, ont voulu maintenir le caractère et les traits du parti tel qu’il avait été forgé dans les années 1930 et 1940. Il a ainsi toujours saisi avec « retard » les évolutions de la société française et n’a pas su réagir quand les dimensions de son « éco-système » se sont disjointes et lézardées, la centralité de la classe ouvrière, le modèle soviétique, la prééminence du parti dans la gauche française. Les causes qui expliquent le déclin régulier du Parti communiste depuis le début des années 1980 se sont ainsi additionnées.

Muter, s’adapter ou disparaître ?
Le livre de Roger Martelli retrace bien cette histoire contemporaine en revenant sur les épisodes les plus récents qu’il a connus comme responsable et militant communiste. Ainsi la tentative de Robert Hue de favoriser une « mutation » du Parti communiste en 1995. Mais il a été trop respectueux des intérêts de l’appareil selon l’auteur et, surtout, n’avait pas d’autre stratégie que de faire du Parti communiste une force désormais d’appoint du Parti socialiste en acceptant les conditions de « la gauche plurielle ». C’est là évidemment que Roger Martelli mène une discussion sur ce qu’aurait pu être un autre avenir du Parti communiste. Il plaidait, avec d’autres, pour que le Parti accepte les évolutions de la société française, la fragmentation du monde salarial, mais aussi toutes les formes nouvelles de contestation, pour devenir un « pôle de radicalité », acceptant par là-même aussi de remettre en cause son « fonctionnement vertical ». Il est intéressant de voir cependant que les deux formes d’adaptation qui se dessinaient (et se dessinent peut-être encore) pour le Parti communiste, une forme de « social-démocratisation » malgré tout – que Roger Martelli nomme curieusement un « keynésianisme rénové » – pour la première, un radicalisme de transformation sociale pour la seconde, toutes les deux supposaient (et supposent) d’en finir avec le modèle bolchevique forgé dans l’histoire.

On peut certes distinguer l’idée communiste de ce qui fait son incarnation historique, le léninisme puis le stalinisme. Mais, cela n’empêche pas que se posent alors des questions clefs que les communistes n’ont pas tranchées dans leur histoire, la première d’entre elles étant évidemment d’admettre ou non l’existence d’un pluralisme irréductible dans les sociétés humaines, et la nécessité de forger des compromis politiques et sociaux pour faire vivre une démocratie. Les idées, en effet, ne peuvent pas agir sur la réalité sans que se mettent en place des mouvements et des organisations pour les porter. Si les communistes français n’ont été au bout d’aucune des « adaptations » qu’il ont effectivement tentées à plusieurs reprises, c’est qu’ils étaient hésitants sur ce qui fallait faire d’un exercice éventuel du pouvoir dans des conditions qui n’étaient pas celles dans lesquelles s’était forgé le modèle communiste et qu’il aurait inévitablement remis en cause. Ce qui vaut pour hier vaut également pour demain.

Ce sont toutes ces raisons qui font que la réflexion sur l’histoire et le présent du communisme, à laquelle nous invite ce livre, ne doit pas être sous-estimée, car elle est pleine d’enseignements pour toutes celles et ceux qui se préoccupent d’œuvrer pour les autres.

Alain Bergounioux
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