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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Séminaire2006/Histoire documentaire
UN PARI : L’HISTOIRE DOCUMENTAIRE DU PARTI SOCIALISTE

Dans le domaine de l’histoire, le document est à la croisée des pratiques disciplinaires : source, il objet de commentaires savants, preuve, il soutient la démonstration, publié, il devient témoignage d’une époque. Cette triple fonction n’épuise pas les fonctionnalités du document en histoire, elle illustre la pluralité des usages du document dans une discipline liée, de par sa construction au dix-neuvième siècle, à sa connaissance et son exploitation.
Cette présentation est à double entrée. Elle expose les présupposés qui président à l’élaboration d’une histoire documentaire du socialisme dont les deux premiers tomes sont parus en 2005 aux Editions Universitaires de Dijon, qui comprendra en tout quatre volumes couvrant la période de 1905 à nos jours(1). Elle se comprend comme un premier bilan de ce qui fut entrepris pour les trois premiers tomes.
Une histoire documentaire est un exercice finalement peu couru chez les historiens, chez les praticiens du mouvement ouvrier (2). Il faut dire que l’objet est étrange, à mi-chemin entre les sources et l’ouvrage classique, à mi-chemin entre l’archiviste et l’historien. Cette étrangeté doit être pesée, présentée, soupesée avant de s’appesantir plus avant sur quelques principes liés à sa confection.

PRINCIPES DE CONFECTION D’UNE HISTOIRE DOCUMENTAIRE
L’histoire documentaire, qu’elle soit du Parti socialiste ou pas, ressort d’une logique du fragment. Elle isole dans un corpus un document qu’elle donne à lire comme étant le plus à même de représenter tout un ensemble de codes idéologique, rhétorique, iconique. Ce découpage est à la base même de ce travail de confection d’une histoire documentaire. En somme, l’historien en ce premier temps rompt avec son métier, la mise en évidence des interrelations, des contextes dans la construction des objets historiques. Il se cantonne à la première phase de la recherche historique, la phase documentaire, identifié par Paul Ricœur (3).
Une première approche serait de rétablir un équilibre par des présentations longues visant à remettre en contexte les documents, semblant s’excuser par avance de leur audace à appeler histoire la suite de documents donnés à lire. En ce cas, la recherche documentaire crée le document exemplaire, celui qui donne sens à la lecture du commentaire qui devient le véritable centre du livre.
Décalée de cette approche, une autre démarche serait de prendre au sérieux ce qu’est le document, un découpage dans le réel, un fragment de ce qui fut dit, écrit, lu, écouté, vu. Cette fragmentation ne saurait se résoudre dans un discours préalable, un chapeau, elle donne à appréhender un monde disparu, elle laisse apercevoir le document dans son unicité, son isolement et dans le même temps sa capacité à susciter des résonances, des échos dans les champs du politique et du social. Cette dialectique de l’isolement dans un ensemble ressort d’une logique du monument que l’archéologie cherche à ressusciter.
Tirer les conséquences de ce raisonnement propose au public une lecture indiciaire dans laquelle le document se rattache en priorité à d’autres documents. En ce sens, une histoire documentaire se différencie d’une anthologie ou d’une édition critique. Là où l’anthologie cherche le bel écrit, l’histoire documentaire cherche les textes qui entrent en résonance, là où l’édition critique habille le texte original d’une érudition sans faille, l’histoire documentaire laisse le lecteur face aux documents. D’une certaine manière, et pour reprendre une argumentation liée à l’histoire de la photographie, ce qui est en dehors doit rester en dehors du document. Le but n’est pas de tenter de recréer un Carcassonne (Violet Le Duc) de l’histoire du socialisme mais de laisser la curiosité s’exprimer dans l’appréhension du fragment. En bonne logique, la note infra-paginale devient inutile. Là où l’ouvrage d’histoire propose une lecture à deux niveaux, par les notes, par le texte, une histoire par documents se doit d’en proposer une seule, le document se suffit à lui-même puisque nous sommes en présence de la confection d’une histoire par la lecture et non par l’écriture. Dans ce cas, quid de l’intervention des concepteurs ?
Elle est double. Dans un premier temps, ils créent un environnement documentaire capable d’aider le lecteur à tracer sa piste au milieu des documents. Concrètement, il s’agit de travailler sur des biographies, des chronologies, des bibliographies ; muni de ce viatique, le lecteur doit avancer au milieu de l’ensemble avec une relative aisance, choisissant son cheminement à travers le foisonnement documentaire. Dans un second temps, les inventeurs de cette histoire (invention est ici à comprendre au sens archéologique), réinvestissent l’écriture historique dans ses règles pour produire un discours sur le socialisme en France. Deux types d’écriture vont se juxtaposer :
la première éclaire les inscriptions d’une histoire des socialismes dans une histoire plus globale, qu’elle soit française, des intellectuels etc. Placés au début des différents tomes, ces articles donnent à voir un en-dehors du document, les présupposés historiographies, méthodologiques des concepteurs.
la seconde se niche au cœur de l’ouvrage. Elle se situe en amont de la lecture des documents pour expliquer les enjeux de la collecte des documents sur tel ou tel thème, de leur intérêt dans une pesée globale de l’histoire du socialisme. Elle n’est donc pas une présentation classique du document, laquelle interviendra exceptionnellement quand la source en soi possède un intérêt dépassant la reproduction de l’extrait choisi. Ces principes posés, le choix du document apparaît comme co-substantiel à l’établissement d’une problématique globale.
On l’aura compris, notre histoire documentaire est aussi, pour nous, une manière d’aborder l’histoire du socialisme. Elle n’en est pas l’écriture, elle n’est pas non plus exactement une simple recension, une collecte, mais un choix. Introductions générales ou partielles esquissent alors une manière de concevoir l’histoire du socialisme, une approche possible du parcours et de l’identité d’un parti « centenaire ».

Quelle problématique pour une histoire documentaire du parti socialiste ?
L’histoire du Parti socialiste en France a déjà fait l’objet de synthèses (4) son historiographie est relativement vivace, en témoigne par exemple la tenue à Dijon d’un colloque sur Les siècles des socialismes en novembre 2003 (5). Cependant, aucune synthèse récente ne tente de proposer une lecture globale de cette histoire, celle-ci s’apprécie surtout aujourd’hui en regard du pouvoir. Nous proposons ici quelques pistes qui nous guident dans notre travail de construction de l’histoire documentaire. Premier élément, l’histoire du socialisme en France présente un intérêt particulier car ce parti est un lieu d’observation particulièrement pertinent pour étudier la société française dans sa constitution, son rapport au politique mais également dans ses interrelations avec l’étranger dans les domaines culturels, sociaux, politiques, économiques. Faire l’histoire du socialisme n’est pas se cantonner au particulier mais travailler sur le général à partir d’une observation approfondie d’un secteur singulier du champ politique français. Tout découle de ce postulat qui n’est pas exclusion de méthodes, d’angles d’approches mais réglage de la focale à partir du micro-historique. Le socialisme ne saurait se considérer seul, il exprime une virtualité présente dans la nation, dans la république, dans la gauche, dans le mouvement ouvrier. Notre travail souhaite mettre en évidence ces configurations dans leur adéquation aux contextes pertinents. Ces prémices portent en eux deux refus qu’il convient dès l’abord d‘expliciter.
Cela signifie le refus de poser le Parti socialiste au seul regard de son rapport au pouvoir mais d’intégrer cette relation dans une approche plus large. Cela signifie le refus de réduire le Parti socialiste à ses seuls dirigeants, de Jaurès à Mitterrand, même si l’examen de la construction de ces mémoires particulières joue un rôle dans cette histoire. Cela signifie donc de n’accorder pas plus d’importance aux rapports des socialistes à l’Etat qu’à leur rapport à l’opinion publique, aux phénomènes sociaux et culturels, aux autres forces politiques…
Par ce choix et ces refus, notre histoire du socialisme se doit de rencontrer le discours des socialistes à la base de l’étude, de prendre au sérieux leurs paroles, de les réinsérer au sein des dispositifs à l’œuvre au sein de la société. L’impératif devient la construction d’un moyen d’appréhension du discours collectif des socialistes dans sa variété mais également son unicité. Nommer la France socialiste ce dispositif n’est pas le réifier en un principe unique, source d’une identité factice ; l’expression désigne une opération historique destinée à clarifier les configurations évolutives des discours socialistes ; autrement dit il s’agit de soumettre la France socialiste au poids des contextes, aux logiques de la tradition, de la filiation, de la situation, de la position. La France socialiste est la figure que les socialistes donnent de leur action, une métaphore disponible pour donner sens à leur utopie. Elle n’est pas la ressource unique et intangible de la compréhension du socialisme puisqu’il faut parfois chercher dans d’autres temporalités les clefs de l’action socialiste. Son ambiguïté se trouve dans son rapport aux représentations sociales. En partie, elle procède de cette méthode d’approche des phénomènes sociaux, en partie elle s’en éloigne. Elle s’en rapproche par sa capacité à créer du lien social, à lui donner un sens pour l’opinion socialiste. Elle s’en éloigne par sa capacité à produire un sens particulier pour les socialistes marquant rupture avec la majorité de la population. La France socialiste crée sa propre temporalité dans son évidente intrication avec d’autres manières de faire jouer les aléas du politique. Dans ce cadre, le parti ne disparaît pas, ne s’efface pas ; le Parti socialiste devient le lieu où s’exprime les différentes manières de présenter la France socialiste à l’opinion socialiste, le lieu de la concurrence entre les courants, les leaders socialistes. Ce choix problématique a comme conséquence de mettre en évidence les inscriptions du socialisme. Si la France socialiste est instrument, elle est mise à disposition des différents acteurs du socialisme aux différents niveaux du local, du fédéral, du régional, du national, de l’international. Cette dimension constitue le deuxième élément central pour une histoire du socialisme, le démêlé des inscriptions dans les espaces politiques.

PRINCIPES DU CHOIX DOCUMENTAIRE.
A partir de cette problématique, le choix des documents obéit à certains principes et à une problématique d’ensemble liée à l’histoire de l’opinion.
Premier principe : les documents peuvent être de différentes origines, au-delà du seul socialisme. S’il est évident que ce principe rencontre des limites, liés à la production éditoriale, au nombre limité de pages, le reprendre ne serait-ce qu’une fois par volume permet de rendre concret l’idée que les discours socialistes s’inscrivent dans des contextes innervés par d’autres forces politiques. Exemple : la Charte d’Amiens dans le premier tome.
Deuxième principe : il n’y a pas de bons documents, même si certains sont incontournables. Pour nous faire comprendre prenons l’exemple du discours de Blum à Tours. L’intérêt de ce discours plus qu’en lui-même réside dans l’usage qui en fut fait par les socialistes a posteriori (6) Il est pris non parce qu’il est le bon document pour comprendre la scission de Tours mais parce qu’il fait partie des textes réédités en permanence par les socialistes. Sa place est dans la partie sur Blum plus que dans la partie sur le congrès de Tours.
Troisième principe : Il n’y a pas de bonne taille de document. La longueur choisie, de quelques lignes à quelques pages, répond au souci de donner à comprendre le socialisme. Une notule suffit parfois, un texte long est parfois nécessaire.
Quatrième principe : Notre choix documentaire repose sur l’idée qu’il faut donner à lire les limites du discours socialiste sur une matière. Nous avons choisi quelques textes, sans intérêt en soi, mais qui restitués dans une suite, dans un contexte prennent un sens particulier. L’essentiel pour nous tient au refus d’héroïser telle ou telle position tenue parce que la postérité la reconnaît comme telle, bien qu’elle fût marginale dans l’instant de sa proclamation.
Ces principes ne sauraient être suffisants en soi pour le choix des documents s’ils n’étaient pas soumis aux évolutions en cours dans le rapport entre le citoyen, le camarade, l’acteur et les moyens de construire une opinion publique socialiste particulière. Pour dire les choses simplement, le visuel tend à prendre de plus en plus d’importance dans les phénomènes de mobilisation politique qui sont à l’œuvre. Présent dès le départ dans le socialisme, l’image devient de plus en plus présente à travers les caricatures, les affiches, les photographies, les films dans les productions socialistes. Cette évolution doit se retrouver dans la manière d’aborder les différents tomes. Si le texte semble nécessairement dominant dans la première période, il connaît un recul sensible dans la deuxième période avant d’être à égalité avec l’image dans la troisième période. Le poids du visuel s’accroît à mesure que le texte s’affaiblit, même s’il est loin de disparaître. Cette pétition de principe se heurte ici aux réalités pécuniaires du monde de l’édition, lesquelles restreignent l’horizon de notre projet.

AU REGARD DES TOMES, COMMENTAIRES
L’ensemble des propositions s’est confronté à la réalité de la confection de l’histoire documentaire. Si globalement, les principes furent respectés, il faut noter quelques déplacements liés au maniement des archives, qu’elles soient de police, presse partisane, publication de tendance etc. Il faut également noter le poids même de la rédaction de ces volumes qui transforme le regard porté sur l’entreprise, parce que les confrontations matérielles avec les massifs archivistiques participent de l’appréhension du parti socialiste : ainsi de la qualité matérielle des supports de publications internes autour de 1960, dont l’appauvrissement dit mieux que les textes, par une simple appréhension tactile, les difficultés de la SFIO dans cette décennie.
Le premier élément à mettre en avant est la mutation du regard lié au statut de l’histoire documentaire. Pour résumer, tout devient document, la moindre notice, le moindre article, la plus petite illustration se transforme en objet d’attention pour devenir document. Il faut pourtant choisir. Là où l’approche historienne classique aurait procédée par mise en série, par confrontations, pour dégager une généralité, l’histoire documentaire se heurte à la logique du fragment, s’exposant à la critique sur l’exemplarité du document.
Second élément, quel équilibre faut-il adopter dans la structuration des volumes. Notre choix s’est porté sur la reprise d’un plan organisé autour de trois pôle : le parti (sa vie interne), l’événement (la manière dont le parti y réagit), la France socialiste (logique(s) d’inscription(s) et figure rhétorique) auquel l’on adjoint la question de la mémoire socialiste. Pour chaque volume, la structuration mute : il s’agit là, par cette partition, de déplacer le curseur, d’indiquer ainsi ce qui nous semble constituer le « ton » de la période.
Troisième élément de ce bilan provisoire, les difficultés et les débats liés à la co-existence de deux approches : celle des sciences politiques, celle d’une histoire sociale et culturelle du politique. Parce qu’il s’agissait de revenir à la base même de toute démonstration –la preuve documentaire- ces deux approches se sont parfois heurtées, souvent complétées, illustrant par là la pluralité des regards posés sur l’objet parti socialiste. Dans cette logique, c’est un travail rédactionnel collectif que nous proposons et assumons.

Pour conclure (provisoirement), notons qu’aux termes de ces propositions l’historiographie même du parti socialiste relève du champ d’une histoire documentaire. Elle est inscription de la SFIO, puis du parti socialiste dans l’histoire politique française. Elle est également, par le traitement qu’elle réserve à cet objet singulier, appréciation d’une situation politique et institutionnelle (7) et champs à partir duquel de nouveaux concepts, de nouvelles formes du métier d’historien se sont en partie élaborées : ainsi du travail de Madeleine Rebérioux et ses héritiers dans la Société d’études jaurésiennes, déjà gros des problématiques actuelles de l’histoire culturelle.

Vincent Chambarlhac, Maxime Dury, Jérôme Malois, Thierry Hohl

(1) Vincent Chambarlhac, Jérôme Malois, Thierry Hohl, Maxime Dury, L’Entreprise socialiste, Histoire documentaire du parti socialiste, tome 1, EUD, Dijon, 2005. Le tome II s’intitule La maison socialiste ; le tome 3 (Les centres socialistes) est prévu pour mars 2006.

(2) Exception faite du livre de Nicole Racine et Louis Bodin, Le parti communiste français pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Presses de la FNSP, 1972. La collection « sources » des EUD, outre cette histoire documentaire du parti socialiste a édité les actes du congrès pour la défense de la culture (Pour la défense de la culture. Les textes du Congrès international des écrivains, Paris, Juin 1935, textes réunis et présentés par Sandra Téroni et Wolfgang Klein, Dijon, EUD « Sources », 2005).

(3) Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris. Seuil. 2000.

(4) La première synthèse universitaire est l’œuvre de Daniel Ligou (Histoire du socialisme en France (1871-1961), Paris, PUF, 1962). L’histoire du socialisme déborde d’ailleurs le seul cadre politique et / ou partisan (nous en faisons la démonstration dans les introductions des tomes I et II, op-cit, note 1). Le parti socialiste n’est plus alors l’objet même de l’enquête historique (cf. Vincent Chambarlhac, « SHS versus socialisme ? Les écritures intellectuelles du socialisme à la Belle époque. », Recherche socialiste, mai 2005). La synthèse la plus récente porte sur le rapport au pouvoir des socialistes (Alain Bergounioux, Gérard Grunberg…).

(5) A paraître chez Séli Arslan courant 2006.

(6) Sur ce point, cf. l’intervention de Frédéric Cépède sur les usages socialistes du discours de Léon Blum à Tours au colloque de Dijon, op-cit note 5.

(7) A titre indicatif, et parce qu’il fut l’une des séances d’un précédent séminaire de l’OURS, le travail de Romain Ducoulombier (Le premier communisme français, un homme nouveau pour régénérer le socialisme ? , note 42 de la Fondation Jean Jaurès) permet de discuter ce que l’historiographie en cours de renouvellement du fait communiste dit de la SFIO de la Belle époque.
 

 
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