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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Gérard Jaquet et la construction européenne
Gérard JAQUET, ancien ministre, ancien député de la Seine, dernier survivant de la direction du Parti socialiste clandestin, est décédé le samedi 13 avril 2013 à l’âge de 97 ans. Nous reviendrons sur son parcours dans notre prochaine revue.

Gérard Jaquet a joué un rôle de premier plan depuis la fin des années 1940 en faveur d’une Europe unie, que ce soit à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe – dont il fut délégué titulaire de 1950 à 1958 –, au Mouvement européen, ou à la Gauche européenne. En forme d’hommage, vous pouvez lire ici les quelques souvenirs qu’il avait livrés à Denis Lefebvre et Maurice Braud sur les débuts de la construction européenne, le rôle que le Parti socialiste y a joué, dans un entretien publié dans le
Bulletin du Centre Guy Mollet (n°16, juin 1990, « Les socialistes et l’Europe »)


Comment vous êtes-vous intéressé à la construction européenne ?
D’une manière tout à fait fortuite, peu avant le congrès de La Haye, en 1948. J’étais en rapport avec André NOËL, parlementaire MRP, et avec René COURTIN, de tendance radicale, qui était alors au Monde. Tous deux m’ont parlé du gendre de Winston CHURCHILL, Duncan SANDYS, qui devait venir en France pour essayer de sensibiliser des personnalités politiques françaises à l’Europe. Ils m’ont proposé de le rencontrer. Pourquoi pas, me suis-je dit...

Nous nous sommes donc rencontrés, et avons parlé de la nécessité de construire un ensemble européen. Puis, dans le cadre de la préparation du congrès de La Haye (auquel la SFIO n’a pas participé), il nous a invités chez lui, en Grande-Bretagne. Tel est le début.

C’est au lendemain du congrès de La Haye que s’est constitué le Mouvement Européen, au sein duquel on retrouvait des représentants des différentes organisations politiques françaises, parmi lesquels les socialistes, les démocrates-chrétiens, le mouvement de FRENAY, la Fédération d’André VOISIN, à droite. À droite, également, la Ligue européenne de coopération économique, moins politique, qui voulait surtout rassembler, pour des études, des économistes européens. Il faut se souvenir que le Conseil de l’Europe est né du Mouvement Européen.
Le Parti socialiste y jouait un rôle non négligeable. Nous avions réussi à faire élire comme secrétaire général – contre un candidat réactionnaire – notre camarade René LHUILLIER.

Comment peut-on caractériser la vie du Mouvement européen ?
Tout se passait très bien. Nous essayions en permanence de voir quelles idées nous pouvions défendre ensemble, quelles étapes franchir, quelles communautés créer, quelles compétences leur donner. Nous organisions des réunions publiques, pour convaincre l’opinion.

Y avait-il un mouvement spécifiquement socialiste en faveur de l’Europe ?
Parallèlement à la création du Mouvement européen, nous avons structuré autour du Parti un organisme né sur l’initiative de Marceau PIVERT, le Mouvement pour les États-Unis socialistes d’Europe. Ce mouvement est devenu Mouvement socialiste pour les États-Unis d’Europe. Plus tard, devant la volonté d’adhésion de démocrates de gauche, notamment proches du MRP, après quelques autres changements, nous le dénommerons définitivement Gauche européenne.

Dès cette époque, le Parti dans son ensemble est convaincu de l’idée européenne ?
Tout à fait, pour les dirigeants, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient forcément d’accord sur la forme à donner à l’Europe. Les militants, eux, ne s’intéresseront à l’Europe que plus tard.

Le Mouvement socialiste pour les États-Unis d’Europe a une action spécifique : convaincre le Parti de la nécessité européenne, en organisant un peu partout des réunions. Il essayait d’être la conscience européenne du Parti. La tâche n’était pas insurmontable, même si, c’est bien normal, certaines préoccupations d’ordre intérieur dominaient souvent.

Revenons un peu en arrière : Y avait-il des réflexions sur l’Europe dans la Résistance française ?
À mon avis très peu. Peut-être une réflexion dans le mouvement Combat, autour d’Henri FRENAY, mais c’est tout. On ne parlait pas de l’Europe, à cette époque. En tout cas, sûrement pas dans le PS.

Mais il faut noter que Léon BLUM, dans son livre A l’échelle humaine, écrit en captivité, avait pressenti qu’il faudrait faire l’Europe, quand il évoquait l’Allemagne, l’avenir de ce pays, qu’il faudra insérer dans une communauté suffisamment large, pour le rééduquer et, s’il fallait, pour le discipliner.

Donc, il avait déjà la perspective de l’Europe pendant la guerre, et il va relancer l’idée peu après sa libération, même si, tout d’abord, le Parti est beaucoup plus internationaliste qu’européen. Il s’est sans doute davantage préoccupé de la reconstruction de l’Internationale socialiste, de la mise en place de l’Organisation des Nations unies. Pour l’ONU, l’espoir était qu’un organisme international efficace pourrait intervenir au nom de la communauté internationale.

Léon BLUM était-il européen par conviction ?
Tout à fait.

En quelques mots, quelles étaient ses relations avec Guy MOLLET sur cette question ?
Il est évident qu’autour du congrès de 1946, il y a eu peu d’affinités entre eux deux. Mais l’Europe les a rapprochés, et ils ont travaillé ensemble. D’ailleurs, quand est mis en place un « Comité pour l’union européenne » réunissant les cinq pays signataires du Traité de Bruxelles, Guy MOLLET en fait partie, remplaçant Léon BLUM, malade.

Y avait-il un projet socialiste européen ?
Pas vraiment. Notre objectif était essentiellement de construire l’Europe, en tenant compte des réalités. Ensuite, il serait plus facile d’évoluer vers le socialisme à l’échelle européenne. Par contre, nous avons toujours essayé de maintenir des rencontres régulières entre les partis socialistes européens, par la création d’un Bureau de liaison. Ensuite, sera mise en place l’Union des PS de la CEE.

Quels étaient les alliés privilégiés de la SFIO au plan européen ?
Avec les Allemands, nous avions peu de problèmes. Les Italiens, très divisés comme toujours, faisaient souvent du maximalisme, du « constitutionalisme ». Nous avions quelques problèmes également avec le président du Parti belge, Max BUSET, qui était très européen, mais il pensait qu’il ne fallait pas aller trop vite. Le débat était beaucoup plus facile avec Victor LAROCK. Mais, globalement, il n’y avait guère de difficultés, entre socialistes.

Très rapidement, après le congrès de La Haye, Winston CHURCHILL cesse d’être la grande personnalité européenne. Est-il remplacé ? Je ne pense pas que CHURCHILL ait été remplacé par une ou plusieurs individualités. On peut mettre en avant les partis français et belge, qui sont
moteurs. Bien sûr, comment ne pas souligner la personnalité de Paul-Henri SPAAK, un grand européen, avec beaucoup de grandeur.

Quels sont les grands problèmes qui se sont posés très rapidement ?
J’en retiendrai tout d’abord un, celui de la Grande-Bretagne. Au Conseil de l’Europe, des débats très durs nous ont opposé aux Anglais, par exemple sur le Plan Schuman. Ils n’y ont pas adhéré, du fait des transferts de souveraineté, qu’ils refusaient, préférant certaines formes de coopération, de discussion, mais rien de plus. La question s’est vite posée : que faire sans eux ? Faut-il tout arrêter ? Nous avons décidé d’avancer malgré tout.

Pour schématiser, notre position était : commençons avec ceux qui acceptent de s’engager, les autres, par réalisme, nous rejoindront ensuite. Un autre problème divisait les européens, entre « fonctionnalistes » et « constitutionnalistes ». Certains européens pensaient que pour faire une bonne Communauté européenne, il fallait avant tout une bonne Constitution. Nous leur disions... une Constitution, pour quoi faire ? Il faut d’abord des politiques communes. Quand on les a, la nécessité se fait sentir d’avoir de bonnes institutions, pour les appliquer efficacement. Mais l’inverse ne pourra que créer des illusions, puis des déceptions. Nous, nous étions des « fonctionnalistes », et des controverses nous opposaient aux « constitutionnalistes », tel SPINELLI, que j’ai connu dès les premières heures de l’aventure européenne, et que j’ai toujours entendu défendre cette thèse irréaliste.

Autre problème... la CED ?
Les controverses sur la CED n’avaient pas uniquement un caractère européen. Le problème était très complexe. On ne peut pas dire que ceux qui étaient pour la CED étaient tous pour l’Europe, et vice-versa.

Y avait-il un débat sur la question des rapports avec les États-Unis et l’URSS ?
Cette question est peut-être la seule qui ait entraîné un débat au sein du Mouvement Européen, entre ceux qui étaient « atlantistes » et ceux qui l’étaient moins.

Nous, nous étions plutôt pour une Europe « Troisième force », entre les deux grands : nous voulions être indépendants des deux blocs. Nous condamnions tous l’URSS de Staline, mais les mouvements européens de droite voulaient nous entraîner dans un cadre atlantiste.

Notre conception était plutôt de dire : si nous ne faisons pas une communauté européenne indépendante des deux blocs, l’Europe cessera d’exister.

Propos recueillis par Maurice BRAUD et Denis LEFEBVRE.

 

 
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