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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Fulla/Tracol L'OURS 392 Novembre 2009
Les lois Auroux, les textes et l’esprit
par Mathieu Fulla

à propos du livre de Matthieu Tracol, Changer le travail pour changer la vie. Genèse des lois Auroux 1981-1982, L'Harmattan, 2009, 248 p, 20 €

Montant à la tribune de l’Assemblée nationale en mai 1982, le ministre du Travail Jean Auroux appelle à une rupture avec les comportements jusqu’alors en vigueur dans le dialogue social. Le monument législatif portant son nom – deux ordonnances et quatre lois promulguées au cours de l’année 1982 – parvint-il à relever le défi ?

Dans un ouvrage passionnant issu d’un mémoire primé par la Fondation Jean-Jaurès, et publié dans la collection dirigée par l’OURS et la FJJ, « des poings et des roses », Matthieu Tracol explique pourquoi cette réforme du droit du travail n’a pas tenu toutes ses promesses. Si les lois concoctées par les experts de la rue de Grenelle et de Matignon ont permis d’aligner la législation sur celle des pays européens les plus avancés, elles n’en constituèrent pas pour autant le grand-œuvre de la politique sociale du gouvernement Mauroy. Aucune loi ne tombant du ciel, le travail de Matthieu Tracol permet d’ouvrir la « boîte noire » d’un projet initialement pensé pour changer la vie dans l’entreprise. Démêlant patiemment les fils d’un écheveau complexe, l’auteur met en lumière la variété des sources ayant présidé à son élaboration, établissant une genèse qui réserve au lecteur quelques surprises.

Des sources d’inspiration plurielles
Lorsque François Mitterrand commande pour le mois de septembre 1981 un rapport sur les droits nouveaux des travailleurs à son atypique ministre du Travail, le député-maire de Roanne Jean Auroux, professeur « barbu et chevelu » peu familier des questions sociales, l’entreprise peut sembler insurmontable. C’est oublier que la table n’était pas rase. La réforme du droit du travail dans l’entreprise constituait au moins depuis Mai 68 un problème de l’heure, à gauche comme à droite. Jean Auroux put ainsi s’appuyer sur un certain nombre d’experts particulièrement au fait de ces problématiques, au premier chef Martine Aubry, conseillère technique au ministère et principale « plume » du rapport. Travaillant en étroite symbiose avec l’équipe sociale de Matignon sous le regard bienveillant de l’Elysée, le ministre du Travail remit dans les délais exigés un rapport fondé sur les valeurs cardinales de la « deuxième gauche » : négociation, recherche du compromis et réalisme. L’influence de la CFDT et surtout de Jacques Delors, véritable père spirituel des lois Auroux, apparaissent donc premières dans cette genèse. Elles ne sont cependant pas les seules : paradoxalement, c’est du côté de la droite modernisatrice des années 1970 que les experts socialistes ont également puisé une partie de leur inspiration. Lorsque Robert Boulin, éphémère ministre du Travail du gouvernement Barre entre 1978 et 1979, met sur pied des groupes de réflexion sur la réforme de l’entreprise, on relève parmi les membres des noms familiers : la jeune énarque Martine Aubry, mais aussi Bernard Bruhnes, futur responsable de l’équipe sociale de Matignon, ou encore Michel Praderie, directeur de cabinet du ministre Auroux. Bien vite oubliés, les travaux des groupes Boulin n’en constituèrent pas moins un formidable laboratoire pour ces experts socialistes. À l’été 1981, il ne restait plus qu’à mettre en musique les différentes sources d’inspiration des années 1970 en tenant compte des vœux de l’Elysée.
La lecture attentive de la genèse du rapport fait apparaître un absent de taille : le Parti socialiste. Les mesures phares des « 110 propositions » du candidat Mitterrand en matière de droit du travail furent très vite écartées par Matignon et les experts du PS tenus à l’écart de la rédaction. L’auteur montre bien que les experts de Jean Auroux et Pierre Mauroy, fondamentalement deloristes, ne pouvait partager l’idéal de rupture que la majorité issue du congrès de Metz appelait de ses vœux. Si l’on excepte l’accord général pour instaurer une réforme profonde du Code du Travail, le Parti s’est vu dépossédé de ses prérogatives. Très déçue par la timidité des propositions avancées dans le rapport, l’instance partisane allait se rappeler au bon souvenir des « technocrates » de Grenelle et Matignon par l’intermédiaire de son groupe parlementaire.

Dans la salle des machines
Point de départ plus qu’aboutissement, le rapport puis les projets de loi durent en effet passer par différents filtres. Des consultations interministérielles à la présentation des projets de loi devant les députés, le rapport subit un certain nombre d’altérations et amendements sans que cela porte atteinte à sa philosophie générale. Préserver son esprit s’avéra en revanche plus délicat à obtenir lors du passage au Palais-Bourbon. Les ralliements du groupe socialiste et, plus largement, d’une majorité soucieuse de « durcir » le projet dans le sens des revendications cégétistes, n’allèrent pas de soi. Il fallut en outre faire face à la guérilla parlementaire menée par les « jeunes loups » de l’opposition au rang desquels émergeait un certain Philippe Séguin, fin connaisseur des questions abordées par les lois.

Matthieu Tracol souligne cependant bien que l’adoption de cette nouvelle législation n’entraîna pas une « levée de boucliers » du patronat et de la droite. Il l’explique principalement par le réalisme économique qui a guidé les concepteurs du rapport Auroux dès leur arrivée au pouvoir. À Matignon comme à Grenelle, on partageait une conviction commune : l’obtention de droits nouveaux ne pouvait se faire au détriment de la compétitivité économique de la Nation. Une pierre lancée par Matthieu Tracol dans le jardin des défenseurs d’un brusque « tournant de la rigueur » en 1983 qui ferait suite à deux années de négligence économique (1).

Une mémoire paradoxale
Si elles ne permirent pas la mise en place de cette démocratie économique revendiquée par les socialistes depuis le XIXe siècle, les lois Auroux conduisirent à des réformes profondes d’un droit du travail longtemps demeuré figé. Le travail de Matthieu Tracol s’avère extrêmement précieux pour dissiper les légendes, roses ou noires, attachées à cet épisode majeur de notre histoire sociale contemporaine. Dans le temps court d’une année de mémoire, sa recherche éclaire avec pertinence et profondeur un objet d’étude complexe. L’absence d’archives du ministère du Travail est comblée par le recours abondant aux archives orales, ainsi qu’à des documents privés qui nous permettent de pénétrer dans le secret des réunions de cabinet. Au terme de la lecture, une envie partagée avec l’auteur : que l’actuelle première secrétaire du PS trouve le temps d’apporter un témoignage assurément précieux pour affiner notre compréhension du rapport des socialistes à la question sociale sous les années Mitterrand.

Mathieu Fulla

1 Voir ainsi le Colloque du centenaire du socialisme, Les socialistes et la France, OURS, 2006. Lors de la demi-journée consacrée aux thèmes « les socialistes et l’économie » Elie Cohen qualifiait 1983 de « sortie de l’ère révolutionnaire » et, dans son témoignage, Henri Emmanuelli résumait la situation lors de son arrivée au Budget la même année : « vous vous étiez fait plaisir pendant deux ans et à mon arrivée, vous m’avez demandé de ‘serrer les boulons’. »

Cet ouvrage, comme tous les titres de la collection « des poings et des roses », peut être commandé à l'OURS : 20,00 euros port inclus.

Article paru dans L’OURS n°392, novembre 2009, p. 6
 

 
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