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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Reynaud/Introduction RS 27
L’ECONOMIE SOCIALE AUJOURD’HUI : ALTERNATIVE A LA VIOLENCE LIBERALE

Recherche socialiste n° 27 juin 2004

Dossier introduit et coordonné par Jean-Michel Reynaud


Croissance économique, cohésion sociale, valeurs humaines, solidarité et fraternité, citoyenneté, développement durable, commerce équitable, protection sociale solidaire, refondation économique et droit coopératif, sont les maîtres mots de l’étude que nous avons menée sur l’économie sociale. Ce troisième pilier de l’économie, qui représente les mutuelles, les coopératives, les fondations et les associations mérite une attention particulière. Avec ses nombreux points forts, mais aussi avec ses faiblesses, l’économie sociale est un véritable engagement citoyen et humaniste. En nous lançant dans cette étude, nous avons délibérément choisi de ne pas nous laisser enfermer par l’approche uniquement conceptuelle, et par là même trop absconse, pour privilégier ce qui produit des résultats tangibles et quantifiables. C’est ainsi que nous pouvons affirmer que l’économie sociale est une – voire la seule – alternative à la violence libérale, et un véritable engagement citoyen et humaniste.
C’est au milieu du XIXe siècle, en 1844 à Rochdale près de Manchester, que Charles Howarth, et vingt-huit de ses camarades majoritairement tisserands, imaginent une société de consommation fondée sur l’entraide mutuelle, créant ainsi le mouvement coopératif : la Société des équitables pionniers de Rochdale était née, avec un capital de 700 francs. Chargé de soulager la misère sociale, le mouvement coopératif a, depuis, fait le tour du monde. On peut noter que des épiceries coopératives furent fondées à Lyon dès 1835, annoncées comme un système commercial nouveau, sous le vocable de « commerce véridique et social » (cf. V. J. Godart, Travailleurs et Métiers lyonnais, 1909), suivant la théorie de Charles Fourier « travail, capital, talent ». On retrouve cette idée aujourd’hui notamment dans ce que l’on appelle le commerce équitable. C’est un véritable mouvement de fond qui s’est constitué et développé face à ce qu’il faut bien appeler l’empire du profit, une sorte de réponse en forme de rejet positif, donc d’alternative, de – et à – la violence libérale, où progrès social, emploi, protection sociale et entraide fraternelle sont le ciment unificateur et les valeurs.
Des idées et des valeurs, mais aussi des réalisations très concrètes, que l’on retrouve dans les propos de Juan Somavia, directeur général du Bureau international du travail, en 2002, lors de l’assemblée générale de l’Organisation internationale du travail : « Les coopératives constituent un facteur de progrès social puisqu’elles permettent aux catégories les plus défavorisées de participer au développement économique ; elles offrent des possibilités d’emplois à ceux qui ont des compétences, mais peu ou pas de capital, et elles sont une source de protection sociale à travers les structures d’entraide qu’elles créent au sein des communautés. » C’est aussi le souci permanent de cohésion sociale qui guide celles et ceux qui travaillent au développement de l’économie sociale. Ainsi, le mémorandum de l’intergroupe parlementaire de l’économie sociale, établi sous l’impulsion de Marie-Hélène Gillig – députée socialiste européenne – et publié à la fin de notre étude, le note, « l’économie sociale recherche en permanence l’adéquation entre croissance économique et cohésion sociale ». En demandant un rapport parlementaire sur la situation de l’économie sociale en Europe et sur son potentiel en tant que facteur de développement économique, culturel et de progrès social durable, les députés européens signataires – qui plus est au moment de l’élargissement de quinze à vingt-cinq membres – ont montré toute l’importance de ce secteur, mais aussi combien il serait urgent et nécessaire d’engager une réflexion de fond, pragmatique, sur la conjugaison entre croissance économique et lien social.

L’économie sociale : des structures de droit privé à but non lucratif
Mais qu’est-ce que l’économie sociale ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par considérer comme réductrice la distinction sphère publique et sphère privée. En effet, l’analyse plus poussée permet de distinguer trois piliers économiques : le secteur public, qui par définition n’est pas orienté vers la recherche du profit même s’il est soumis à des exigences de production ; le secteur privé, qui est avant tout orienté vers la recherche de profits et réagit à la loi de l’offre et de la demande ; et un troisième pilier qui ne correspond pas aux deux précédents puisqu’il s’agit de structures de droit privé à but non lucratif, dans lequel on trouve les mutuelles, les coopératives, les associations et les fondations. Le secteur de l’économie sociale regroupe aujourd’hui dans le monde, selon le Conseil canadien de la coopération, 750 000 coopératives, 100 millions de salariés et 775 millions de membres, soit 3 milliards de personnes concernées. Un certain nombre de principes communs fédèrent coopératives, associations et mutuelles, comme la démocratie (un homme, une voix), le non-profit individuel et l’indépendance totale vis-à-vis de l’État.
Sans sombrer dans une vision par trop éthérée, utopique par excès et éloignée des réalités et des attentes de nos concitoyens, il est important – urgent même – de montrer que des alternatives existent au tout-marché, et que celles-ci ne sont pas des îlots promis à la disparition suite au réchauffement de la planète. Si se battre contre la marchandisation du monde est une action à l’évidence humaniste, il n’en demeure pas moins que toute société doit être apte à produire des biens pour améliorer les conditions de vie et de travail, comme elle doit aussi pouvoir pratiquer des échanges avec ses partenaires économiques. S’il faut « ne pas avoir peur d’associer l’économique et le social », il importe également de souligner que « l’économie sociale a trouvé une grande légitimité dans l’économie de marché », comme le rappelait Jacques Landriot, le président du groupe coopératif Chèque Déjeuner lors des premières rencontres internationales du Mont-Blanc en mai 2004 (cf. l’article de Thierry Jeantet).

Davos prétend construire et Porto Alegre débattre :
nous devons faire les deux

En un mot, l’économie reste le moteur du progrès humain, mais comme tout moteur, l’essentiel réside dans la façon de l’utiliser. Ce que Gérald Larose – professeur à l’université du Québec de Montréal et président du Groupe d’économie solidaire du Québec – également présent aux rencontres du Mont-Blanc – résumait par cette formule : « Davos prétend construire, Porto Alegre prétend débattre ; nous devons faire les deux. » Cela dans le but, selon le mot d’Emmanuel Kamdem – professeur d’économie, fonctionnaire principal au Bureau international du travail à Genève chargé du service des coopératives et du département de création d’emploi et du développement des entreprises –, d’arriver à une « mondialisation plus juste ». Il reprenait en cela une partie du titre du rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation – coprésidée par Mme Tarja Halonen, présidente de la République de Finlande et Benjamin Mkapa, président de la République unie de Tanzanie – « une mondialisation juste », sous-titrée « créer des opportunités pour tous ». Des opportunités au rang desquelles on peut citer l’absence d’autre alternative au capitalisme mis à part l’économie sociale, comme le soulignait, aux rencontres en mai 2004, Paul Singer – secrétaire d’État à l’Économie solidaire du Brésil – « la révolution sociale passe par l’intermédiaire de la société civile », ajoutant que les États dépensent des sommes considérables en subventions pour aider au développement du capitalisme et que « si le capitalisme devenait moins destructeur, on serait reparti pour trente ans de croissance ». C’est pour cela que Paul Singer propose la création d’un centre international de veille, d’échanges et d’analyses sur l’économie sociale pour « porter » ce « troisième secteur », ce troisième pilier de l’économie, qui – comme l’a souligné Jacques Defourny, professeur d’économie sociale et systèmes économiques à l’université de Liège – « représente un intérêt croissant pour des pistes non capitalistes et non étatiques ».

De Charles Gide à François Mitterrand
Avec l’article de François Soulage, on approche l’histoire moderne de cette ancienne idée qu’est l’économie sociale. En effet, son idée même remonte à la fin du XIXe siècle. À la question qu’est-ce que la coopération ?, Charles Gide répondait : « On peut lui demander ce qu’on veut : elle se prête à n’importe quelle fin sociale » (Encyclopédie socialiste syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière, sous la direction de Compère-Morel, 1913) ; il ajoutait également que « la coopération n’est pas une enseigne, mais une étoile » … ce que Karl Marx résumait par la formule « une théorie devient une puissance matérielle si elle s’empare des masses ». On pouvait lire en avril 1923, dans L’Avenir, revue du socialisme, le questionnement suivant : « Que faudrait-il penser d’un socialiste qui, après avoir bataillé, sur le terrain politique, contre le capitalisme exploiteur, irait, sur le terrain économique et social, mettre sa force de consommation au service de ce même capitalisme ? Rien de flatteur, en vérité. » C’est pourquoi ce texte appelait les militants à adhérer à l’Union des coopérateurs dont « les 375 succursales vendent les meilleurs produits à leur juste prix ». Jules Guesde présentait ainsi le sujet : « La coopération peut servir à toute espèce d’usage et ne vaut, pour nous socialistes, que selon l’usage qu’on en fait. » Pour le congrès des Associations ouvrières de production qui s’est tenu à Paris en 1900, « l’histoire de la coopération se lie intimement à celle du socialisme », suite du mot fameux du préambule du Manifeste de l’Association internationale des travailleurs, « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Seule la suite de l’histoire peut maintenant donner quelques indications, mais – malheureusement – on ne peut en tirer d’enseignement clair et définitif sur cette approche du sujet… En 1912, en France, on comptait 2 865 sociétés coopératives avec 865 842 membres pour un chiffre d’affaires de près de 300 millions de francs de l’époque. La principale raison de l’échec des débuts du mouvement coopératif a tenu, comme l’indiquait Compère-Morel dans son encyclopédie – outre à la division des ouvriers associés et à la jalousie envers le gérant – « à l’hostilité générale du milieu capitaliste contre des associations ouvrières mal outillées économiquement et qui, socialement, paraissaient menacer, au dire d’un procureur général de Lyon, la paix de l’État ou la situation normale de l’industrie et du commerce ».
L’idée moderne de l’économie sociale n’est vraiment apparue en France que depuis un quart de siècle. C’est en décembre 1981 qu’est créée la première délégation à l’Économie sociale, confiée quelques années plus tard à un secrétaire d’État. La relation de ces années fructueuses des débuts du rassemblement de toutes les composantes de l’économie sociale permet de mesurer comment, et pourquoi, fut respectée la 62e des 110 propositions du candidat François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981. Pour l’anecdote, il ne subsiste actuellement dans le gouvernement Raffarin dit III qu’une petite « délégation à l’innovation sociale et à l’économie sociale » rattachée … au ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative ! Comme le notait Le Monde initiatives de mai 2004, « ce nouveau rattachement, profondément réducteur, ne manque pas d’étonner, alors que le secteur a déjà vu supprimé le secrétariat d’État à l’économie solidaire, lors de l’alternance de 2002 ». Et d’inter-titrer, « l’économie sociale, c’est du sport ! », parodiant en cela le site du ministère de référence qui ne comporte pratiquement que des informations concernant le sport. Et pourtant le secteur de l’économie sociale mérite bien mieux que ce désamour ostensiblement affiché, en raison de son passé, mais aussi d’un riche présent et d’un bel avenir, bien symbolisés par le mouvement coopératif.

Les coopérateurs, acteurs essentiels de l’économie sociale
Depuis longtemps les coopérateurs, acteurs essentiels de l’économie sociale, conjuguent démocratie, responsabilité, solidarité, équité. Ils ont su allier le sens des valeurs qu’ils conceptualisent et pratiquent au quotidien. L’entreprise coopérative est une autre façon d’entreprendre, une autre façon de considérer la répartition des fruits du travail, une autre façon de considérer l’entité humaine. C’est – en fin de compte – la seule vraie entreprise qui mérite l’appellation de citoyenne. Dans l’article que nous publions, Jean Grave, président du bureau coopératif de cautionnement, présente les rapports des coopératives avec le marché – les coopératives ont adapté leur offre –, avec la banalisation – les risques de dérive ou de disparition –, avec la gouvernance – qui tend à réduire la distance entre le coopérateur et la coopérative – et avec le comportement sociétal – les coopératives travaillent au nom d’un patrimoine collectif. Selon la formule de Jean Grave, l’État se fait moins entrepreneur, il tarde à se faire régulateur ; dans ce contexte, les coopératives entreprennent autrement. Ainsi, les coopératives sont effectivement légitimes et contemporaines. Des exemples précis vont, si besoin était, mieux nous en faire découvrir la réalité.
C’est pour cela que nous présentons deux exemples coopératifs et mutualistes intervenant dans des secteurs différents : le groupe Chèque Déjeuner, pour le secteur des services, et une mutuelle d’assurance, l’AMF, Assurance mutuelle des fonctionnaires.
Dans la présentation du groupe qu’il préside, Jacques Landriot insiste sur le fait que, dès sa création, Chèque Déjeuner s’est engagé pour des valeurs sociales et humaines fortes, plaçant l’homme et son bien-être au centre des préoccupations de l’ensemble des filiales. Avec la création d’une véritable « monnaie » sociale et culturelle, c’est également de souci de cohésion sociale et de politique sociale équilibrée qu’il s’agit. En parlant de monnaie sociale, le président du groupe Chèque Déjeuner a abordé un sujet également intéressant : en effet, comment ne pas se pencher sur ce « mauvais dieu, la monnaie ».
C’est Jean-Philippe Poulnot qui nous apporte une réflexion sur la monnaie, sur sa double face – il utilise l’expression très imagée de « monnaie Jeckyll et monnaie Hide » – son rôle et ses caractéristiques. À partir d’expériences concrètes et très diverses, est né le projet SOL, projet de monnaie sociale électronique affectée, pour replacer la monnaie à son rang de moyen. On y trouvera aussi des notions comme « monnaie fondante » (elle perd toute sa valeur au bout de trois années), monnaie « positive » et « mutualisable » (constitution d’un fonds pour des projets tant d’initiative locale que pour des grandes causes nationales et internationales), autant de nouveaux concepts qui sont au cœur même de notre sujet. Une telle approche qui veut réconcilier l’économique avec l’éthique et les valeurs du secteur de l’économie sociale, doit également concourir au développement des structures de cette économie.
Dans le second exemple, Jacky Lesueur, président de l’AMF, Assurance mutuelle des fonctionnaires, nous présente l’originalité de cette mutuelle : née de la persévérance de militants syndicalistes et mutualistes, une association à forme mutualiste vit le jour en 1908, pour substituer à la garantie personnelle et pécuniaire des comptables publics une garantie solidaire. Ainsi, la voie de la démocratisation de l’accès aux emplois de ce secteur de la Fonction publique était ouverte. Un projet de mutuelle d’assurance fut élaboré et, en mai 1936, la forme actuelle de l’AMF adoptée. Principes et valeurs mutualistes, solidarité, partenariats étroits avec les mutuelles de santé de la Fonction publique mais aussi avec la Matmut, l’AMF affiche ses différences et son ancrage avec le secteur de l’économie sociale. Loin de la sacralisation des vertus du marché et de la libre concurrence, elle soutient également des fondations et de nombreuses initiatives de ce secteur. Son président – ancien syndicaliste puisqu’il fut, jusqu’en mai 2003, secrétaire général de la puissante fédération FO des Finances – nous montre dans sa contribution à notre revue qu’il y a bien d’autres façons d’entreprendre.

La solidarité ne peut être absente des grandes réalisations économiques
Dans un contexte de globalisation à outrance et d’incertitudes, élevées au rang de technique managériale, les dégâts sociaux sont innombrables et les souffrances multiples et diverses. Si l’on y ajoute les préjudices sur l’environnement – visibles comme invisibles – il faut bien reconnaître que le cocktail est détonnant, explosif, ingérable. C’est bien pour cet ensemble de raisons qu’il convient de promouvoir une « autre » économie, une économie au service de l’homme. Jean-Louis Laville du CNRS, professeur au CNAM, déclarait dans une récente interview au Monde initiatives, de février 2004, que « l’accent est mis sur le rôle sociopolitique – et pas seulement socioéconomique – des associations […] en France, la création de la sécurité sociale par exemple ». En choisissant cet exemple, particulièrement révélateur, on montre bien que l’acteur économique est aussi un citoyen – que le citoyen est aussi un acteur économique – et que la notion de solidarité au sens large ne peut être absente des grandes réalisations économiques durables que les hommes doivent mettre en place. Nous reviendrons sur ce sujet de la santé publique, sujet éminemment solidaire. Une solidarité qui ne peut laisser le marché s’emparer de tous les secteurs intéressant les services, avec comme seul but le côté lucratif, sans contre-pouvoir ou contrepoids.
C’est avec cette vision claire et différente de celle que les médias nous renvoient à longueur d’année, d’une société peuplée d’âpres au gain – quelles que soient les méthodes utilisées –, d’avides d’informations boursières – qui sont débitées comme des bulletins météorologiques – qu’on peut vraiment espérer dans un monde différent, meilleur, plus proche des Lumières du XVIIIe siècle que des ténèbres moyenâgeuses de ce début de XXIe siècle. C’est pourquoi, comme il faut un contre-pouvoir pour peser sur les orientations et les décisions, il doit s’articuler essentiellement sur une autre approche de l’économie, sur d’autres finalités et d’autres buts que le seul enrichissement personnel de quelques poignées d’actionnaires.
Tout dernièrement, c’est dans le domaine du soutien scolaire que le secteur de l’économie sociale s’est engagé. En effet, face à des besoins largement exprimés par les familles, le soutien scolaire privé est devenu un marché capitalistique florissant. Avec leurs propres valeurs, des acteurs comme les mutuelles Macif, Matmut et Mutualité française, ainsi que le groupe Chèque Déjeuner, ont décidé d’offrir à leurs sociétaires et utilisateurs une innovation dans ce domaine en créant Domicours. C’est Jean-François Cochet, son directeur général, qui nous explique la réponse structurée et alternative, dans le respect des valeurs de l’économie sociale, qu’apporte cette nouvelle entreprise.
Des valeurs qui sont aussi portées par des fondations comme celle présidée par Denis Stokkink à Bruxelles, la Fondation pour la solidarité, nouvel outil pluraliste au service de l’économie sociale et solidaire européenne. Créée pour élaborer des projets tangibles et des actions concrètes, en rassemblant des énergies éparses en reliant les cinq acteurs principaux de la planète – pouvoirs publics, entreprises, syndicats, associations et chercheurs – la Fondation pour la solidarité est un vecteur destiné à faire travailler ensemble ceux qui détiennent l’expertise, ceux qui assument la responsabilité sociale, ceux qui connaissent les bonnes pratiques, ceux qui œuvrent sur le terrain et ceux qui maîtrisent le savoir scientifique. Action, réflexion, et transparence sont les trois piliers de cette entreprise qui se veut un véritable think-tank européen se concentrant sur sept pôles de recherche : l’économie sociale, l’emploi, l’entreprenariat social, le logement durable, l’intégration et l’immigration, le développement local, les associations et la santé. Autant de sujets de réflexion qui s’interpénètrent et qui font de cette fondation belge une cheville ouvrière – une clé de voûte – du développement de l’économie sociale. Cette fondation se définit autour de trois mots, comprendre, relier et agir. Pour bien comprendre son mode de fonctionnement, sa volonté et sa ténacité, nous retiendrons cette « petite » phrase de son président, qui dit souvent qu’un battement d’ailes de papillon à Bruxelles suffit pour provoquer un ouragan à Washington… belle ambition pour un « réservoir de pensée » !
Une chance supplémentaire peut s’offrir avec la construction élargie de l’Union économique pour réaliser une plus grande cohérence du secteur de l’économie sociale avec de nouvelles alliances et un moindre isolement : il y a désormais un cadre juridique européen pour les sociétés coopératives dont il convient de se servir. Il faut également se tourner vers l’international et savoir explorer de manière encore plus approfondie des domaines comme la gestion de l’épargne salariale, la formation permanente et la reprise d’entreprises par les salariés. Car l’économie sociale est aussi une ambition pour l’Europe sociale. L’élargissement de l’Union européenne du 1er mai 2004 a confirmé, comme le rappelle dans son article Gilles Sohm, directeur de l’Institut de coopération sociale internationale, la faiblesse institutionnelle des questions sociales, au regard des approches économiques, dans la construction européenne. Et là, le troisième pilier que nous abordons souvent, se trouvera être la zone de séparation, entre le « business » et la « charity » pour éviter que les droits sociaux dépendent du bon vouloir des plus riches, ce qui serait une conception assez curieuse lorsqu’on veut mettre en place et développer un modèle social européen… Mais, seules les réalisations opérationnelles peuvent vraiment mobiliser les acteurs sociaux, d’autant que des dossiers importants sont en cours de réforme, comme les systèmes de santé et d’assurance chômage.
La problématique de santé publique développée par Alain Arnaud – vice-président de la Mutualité fonction publique et également président de la Banque fédérale mutualiste – rappelle utilement que la santé n’est pas un marché et qu’elle doit être solidaire, éthique et démocratique. En fait, il s’agit d’un vrai droit républicain qui ne devrait laisser personne au bord du chemin. Son article est un large panorama de notre système de santé montrant combien on peut détourner un système conçu à l’origine pour l’homme et la satisfaction de ses besoins sociaux. Autant de valeurs développées, mues et promues par tout le secteur de l’économie sociale qui, à côté du secteur coopératif, englobe également tout le secteur mutualiste. Une réflexion qui, au-delà de son caractère hexagonal évident, n’en contient pas moins toute une diffusion internationale, car le caractère universel de la santé publique ne peut échapper à personne, pas moins d’ailleurs que tout l’esprit de cohésion sociale et de solidarité qu’un tel problème représente.

Les premières rencontres internationales du Mont-Blanc
véritable « contre-Davos » des partenaires de l’économie sociale
C’est cette ouverture internationale que les premières rencontres du Mont-Blanc – véritable « contre-Davos » des partenaires de l’économie sociale ont voulu marquer le 1er mai 2004. Par-delà la force symbolique de la date – en lançant un certain nombre de projets et chantiers internationaux sur la santé, la monnaie sociale, l’emploi et l’évaluation des entreprises –, les partenaires de l’économie sociale ont voulu créer des leviers internationaux : centre international de veille et d’analyse, forum permanent d’échange d’expériences, coopérations permanentes notamment sur les services aux personnes, etc. Car il a aussi été affirmé que l’économie sociale apportait des réponses à la lutte contre les pauvretés et les exclusions, militait pour plus de cohésion sociale, permettait l’accès du plus grand nombre à l’emploi et à des produits et services de qualité.
Thierry Jeantet, dans sa contribution relatant les premières rencontres du Mont-Blanc, montre que l’économie sociale est une voie pour une « mondialisation humaine ». Dépassant les frontières, en mariant des compétences et des volontés diverses, il a été choisi des sujets primordiaux que nous abordons au fond dans cette revue. En parallèle de ces pistes de travail, un comité de pilotage international a été constitué, première étape d’un véritable réseau d’actions d’économie sociale. Un véritable espoir est né à Morzine cette année, un espoir au service du progrès humain.
La nouvelle formule de sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) doit permettre d’associer les salariés, les usagers et les collectivités : c’est, en fait, l’articulation de l’entreprise, de l’association et de la collectivité publique. Ainsi, dans son article, Jean-Pierre Hauguel, expert consultant en stratégie d’entreprise, établit un plaidoyer pour la popularisation et la mise en place de solutions concrètes, notamment et par exemple, des alternatives à la privatisation d’entités comme Aéroports de Paris, et avec une autre logique managériale, à France Télécom. Pour lui, la riposte c’est d’impulser une refondation économique durable, inspirée d’un droit coopératif, qui devrait passer par la contre-attaque de la gauche politique et syndicale avec « une refondation postcapitaliste et internationaliste ». De quoi alimenter notre réflexion et nourrir nos argumentations.
Philippe Frémeaux, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, et Naïri Nahapetian, journaliste, nous livrent une intéressante réflexion sur l’utilité sociale de l’économie sociale, confrontée aujourd’hui au mouvement de redéfinition de la richesse. En effet, dans un contexte qui voit la légitimité de l’État, mais aussi de l’entreprise privée, contestée, l’économie sociale – estiment-ils – doit voir son horizon s’élargir, pour autant qu’elle sache soumettre ses objectifs et ses pratiques à évaluation. L’action publique n’est jamais aussi utile socialement que lorsqu’elle accepte d’introduire un peu de marché dans son mode de définition, de fonctionnement et d’évaluation. L’utilité de l’action des entreprises est donc définie de manière plurielle, à la fois sur le marché, mais aussi par les règles qu’elles sont tenues de respecter, lesquelles incorporent une certaine idée de l’intérêt collectif. Ils concluent leur article par l’affirmation que consommateurs et actionnaires apprennent progressivement à voter avec leur carte de crédit et leur épargne, forme de « moralisation » du capitalisme mais aussi de réflexion profonde sur les méthodes et les produits de l’économie sociale.

L’économie sociale, véritable engagement citoyen et humaniste
Nous avons ouvert cet article en présentant l’économie sociale par quelques références historiques autour du mouvement coopératif. L’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière de Compère-Morel et Jean-Lorris, publiée au début du XXe siècle, évoquait longuement la méthode des sociétés coopératives de consommation symbolisée par cette interrogation et cette réponse : c’est du commerce ? Oui, mais du commerce social. Nous avons également souligné l’influence déterminante de Charles Gide, présenté comme le principal théoricien du coopératisme, qui dans l’Almanach de la coopération, publié par l’Union coopérative en 1910, assimilait les douze vertus de la coopération aux douze mois de l’année : mieux vivre, payer comptant, épargner sans peine, simplifier les rouages, combattre les débits de boisson, gagner les femmes aux questions sociales, émanciper le peuple par l’éducation, faciliter à tous l’accès de la propriété, reconstituer une propriété collective, établir le juste prix, supprimer le profit, abolir les conflits.
Au moment de conclure cet article, on ne peut s’empêcher de penser qu’en un siècle rien n’a vraiment changé : les combats restent les mêmes, les vices et les abus n’ont pas disparu. Mais après ce premier constat somme toute plutôt pessimiste – à tout le moins constatant que le progressisme est en panne – ne doit-on pas en avoir une lecture plus optimiste ? Car, si le mouvement coopératif – ancêtre de l’économie sociale – n’était pas né et n’avait pas su théoriser ses idées comme les mettre en application pratique, pourrait-on aujourd’hui montrer une véritable alternative crédible économiquement et socialement au tout-marché ? Certainement pas. Car l’idée et les réalisations ont traversé un siècle particulièrement lourd en termes d’illusions et de désillusions, tant sur le genre humain que sur diverses expériences politiques et économiques. Malgré cela, le secteur de l’économie sociale est encore plus attractif aujourd’hui, notamment aux jeunes générations éprises de trouver du sens à leur vie, et est bien reconnu comme le seul espace à pouvoir porter dans le cadre économique des valeurs humaines, une éthique de comportement et un réel souci social. C’est bien cet ensemble de raisons qui a toujours cristallisé l’hostilité du capitalisme – renommé aujourd’hui avec différents qualificatifs afférents au libéralisme –, lequel a toujours vu d’un très mauvais œil toutes les alliances des salariés, qui plus est dans le secteur économique et productif.
Nous présentons dans ce numéro de recherche socialiste un secteur varié mais dont les valeurs sont communes, un secteur qui montre de réelles réussites économiques, qui crée de l’emploi et assure à ses porteurs de parts sociales un environnement qu’on souhaite à beaucoup de salariés de l’économie marchande ou du secteur public.
À l’aune de ces réalisations pratiques comme de sa vitalité actuelle, on peut affirmer qu’au service du plus grand nombre, l’économie sociale est un véritable engagement citoyen et humaniste.

Jean-Michel Reynaud
 

 
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