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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
J-F Desaix / Populisme
Le(s) populisme(s), état des lieux
par JEAN-FREDERIC DESAIX

à propos des ouvrages de Michel Wievorka, Le Front national entre extrémisme, populisme et démocratie, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, 87 p, 9 € et Christophe Sente & Jean Sloover, La Tentation populiste. Cinq démocraties européennes sous tension, Bruxelles, Espace de liberté, 2013, 104 p, 10 €

article paru dans L’OURS n°433, décembre 2013, page 4.

Le discours populiste déverse sa litanie périodiquement dans l’histoire. Aujourd’hui, en plus de s’installer dans le débat public, il est en quête de respectabilité.

Si le vocabulaire et les thèmes populistes évoluent avec le temps, leur manifestation reste conjoncturelle et à l’essor du populisme succède souvent son déclin. Pourtant son développement actuel semble sans précédent. N’est-il vraiment qu’une éphémère et conjoncturelle représentation simpliste et binaire de la politique entre le bien et le mal, héritée de nos traditions religieuses ? Nombreux sont les auteurs qui s’interrogent sur la définition même du populisme, tant il apparaît sous de nombreuses formes et reçoit un écho favorable dans toutes les classes sociales de la vieille Europe.

Un populisme européen ?
Avec les références identitaires, la stigmatisation de certains groupes sociaux, la globalisation, la massification culturelle, le populisme porte plus que les simples stigmates des dérives politiques de la démocratie. Il est pour de nombreux chercheurs le courant annonciateur de la tentation totalitaire. Depuis 1989, et plus encore depuis 2007, le débat sur sa signification s’est intensifié : exprime-t-il la volonté du peuple ou est-il un produit politique façonné par des prédicateurs ? Est-ce un danger pour la démocratie ou un moyen de conserver un lien entre le désir des gouvernés et les préoccupations des gouvernants ?

Michel Wieviorka tente une réponse par l’analyse du nouveau Front national et de sa recherche de pérennité politique en France. De leurs côtés Christophe Sente et Jean Sloover dressent un portrait de la situation européenne non seulement en France mais aussi en Italie, Grèce, Pays-Bas et Grande-Bretagne. Dans chaque pays, des mouvements ou des personnalités reflètent la montée d’un nouveau populisme. Il trouve en Europe un terrain d’épanouissement particulièrement fécond. Mais il n’est pas homogène et ses thèmes varient selon les territoires. Pin Fortuyn aux Pays-Bas fut le symbole de la stigmatisation de la menace de l’immigration, dont le discours s’est consolidé à travers le pays par l’ancrage de son parti, le PVV, dans les institutions hollandaises. Outre sa situation insulaire, la Grande-Bretagne subit elle aussi les assauts populistes à travers un nouvel électorat « reluctant radicals », « les radicaux réticents », incarnés par un discours anti-européen plus prégnant que par le passé. En Italie, c’est la lutte contre les élites et la complexité du système politique et économique qui constitue le levier du populisme italien. Le peuple n’est plus « un », il est une masse d’individus dont le salut passe par l’homme providentiel et simplificateur des maux de la société. Entre sa version d’extrême droite berlusconienne et celle plus anti-européenne et antipolitique de Beppe Grillo, ce pays est un terrain historique propice au populisme. La Grèce, berceau de la culture démocratique, subit récemment l’épreuve populiste, dénonçant l’union de la gauche et la droite coalisées dans des politiques d’austérité. « Syriza » venu de l’extrême gauche et « l’Aube dorée » ouvertement à l’extrême droite rassemblent 35 % des voix. Quant à la France, elle est aussi traversée de part en part par un populisme qui, bien que représenté par le Front national, ne parait pas épargner la gauche française.

Un nouveau FN entre populisme
et respectabilité ?

La présence du Front national dans le paysage politique ne tient plus de l’événement. Il est difficile de la traiter comme un simple phénomène, conséquence d’une crise économique et politique. On peut aussi la considérer comme un cycle de la vie politique qui, périodiquement, met en exergue les tendances populistes. Le boulangisme, le poujadisme, comme le lepenisme ne seraient-ils que des formes alternatives du populisme ? La nouveauté est que l’installation du Front national dans la vie politique française tient au fait qu’il maintient son discours populiste et idéologique tout en respectant les valeurs républicaines de la démocratie. Il veut exister au-delà de l’état singulier et éphémère d’une société en crise. C’est clairement un second Front national qui pointe avec sa nouvelle présidente. Mais il reste sous tension entre radicalité et respectabilité. Sa quête d’honorabilité ne détourne pas complètement le parti de son idéologie originelle, raciale et xénophobe. Sa présidente tente d’afficher une volonté de se défaire des vieux démons et des mauvaises recrues ultra religieuses ou ultralibérales. En interne, le fond idéologique reste le même. Malgré sa communication et ses effets de style, il reste un parti extrémiste, usant de toutes les facéties populistes, allant même jusqu’à reprendre le thème de la laïcité, piétinant sans vergogne son sens profond.

C’est ce que démontre Michel Wieviorka expliquant que le Front national n’est pas un parti d’ouvriers, même s’il met le syndicalisme à l’épreuve et le pénètre par le bas en jouant sur la haine et le ressentiment. Avec ses accusations quasi obsessionnelles de mensonge et de dissimulation de la part des élites, le FN est un parti de revendications radicales avec une rhétorique brutale, simpliste, parfois caricaturale. La tentation est pourtant grande et la séduction opère partout, notamment par la modernité ou le charisme des dirigeants et leur recherche de proximité avec le « peuple français ».

Populisme à gauche ?
Populisme à gauche ? Il est tentant de répondre par l’affirmative. Pourtant, les auteurs évoquent des arguments contraires : l’organisation démocratique des grands partis de gauche limite les marges de manœuvre idéologiques du leader. Le fonds marxiste empêche une analyse par trop simpliste de la situation économique. La présence de courants au sein même du socialisme implique un débat constant qui évite toute dérive populiste, notamment sur le thème de l’immigration. Enfin, la gauche, même critique à l’égard des institutions européennes actuelles, reste un levier en faveur de l’union politique de l’Europe. Si la gauche adopte parfois des accents populiste ou démagogique, sa culture historique et idéologique ne peut constituer un terrain stable à l’épanouissement du populisme…

Refus de l’Europe, la mondialisation, l’Islam, la lutte contre les élites, sont indéniablement les marqueurs de ce nouveau populisme. Ils sont employés chacun à des degrés différents selon les territoires. La force du populisme est d’imposer désormais ses thèmes dans les débats nationaux, thèmes qu’il est impossible d’évacuer d’un coup de torchon tant est puissant le malaise citoyen d’une société mondialisée en crise. Reste à savoir si ce populisme en Europe, et non pas « européen », sera capable de bouleverser à long terme l’espace démocratique européen en construction.
Jean-Frédéric Desaix
 

 
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