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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Prochasson / Sembat 373
Sembat, un homme moderne

par Christophe Prochasson

à propos de
MARCEL SEMBAT
Les cahiers noirs. Journal 1905-1922
texte établi, présenté et annoté par CHRISTIAN PHELINE
Viviane Hamy 2007 827 p 29 €

Qui connaît Marcel Sembat ? A n’en pas douter les lecteurs de ce journal qui n’ignorent pas les biographies que lui a récemment consacré Denis Lefebvre (Marcel Sembat, socialiste et franc-maçon, Éditions Bruno Leprince, 1995 et Marcel Sembat. Le socialisme maçonnique d’avant 1914, Edimaf, 2001), tout comme quelques spécialistes de l’histoire du mouvement socialiste qui savent bien situer le personnage, écrasé qu’il est entre les vraies icônes que sont Jaurès, Blum ou Guesde. Sembat ?

Un socialiste dans son temps
Socialiste d’origine blanquiste, né en 1862, mort en 1922, franc-maçon, député des Grandes Carrières, circonscription du XVIIIe arrondissement de Paris, auteur en 1913 d’un essai retentissant, Faîtes un roi, sinon faîtes la paix, ministre des Travaux publics, pour finir, jusqu’au mois de décembre 1916, dans plusieurs gouvernements d’Union sacrée. Sembat incarne le socialisme intégré à la République. Marié à Georgette Agutte, peintre dont le talent n’a pas encore frappé les esprits, il partage la vie de toutes les élites bourgeoises et cultivées de son temps : il fréquente les artistes, tel son ami Matisse, mais aussi les écrivains, de droite et de gauche, les universitaires français et étrangers, sociologues, anthropologues et, surtout psychologues, dont il fait parfois la connaissance dans le salon de Madame Ménard-Dorian.

Ces aspects de la biographie de Sembat, très élégamment rappelés par la préface d’André Phéline qui livre des Cahiers noirs une impeccable et savante édition, étaient bien connus. L’intérêt de ce livre est ailleurs. Bien que déjà publié en partie il y a plusieurs années sous la forme de fascicules des Cahiers de l’OURS, les Cahiers noirs donnent lieu à cette nouvelle édition, encore tronquée certes mais qui n’en constitue pas moins un événement important. Pourquoi ? Qui y cherchera les secrets de la vie politique des socialistes, en traquant des alliances non sues, des haines oubliées, des complots masqués, y perdra son temps et sa peine. Les Cahiers noirsde Marcel Sembat ne sont pas les Carnets de Marcel Cachin où ce dernier semble tout entier absorbé par son métier politique. Rien de tel chez Sembat. S’y déplie en revanche une personnalité attachante qui rend la lecture de ces 800 pages absolument passionnantes.
Quel homme singulier en effet que Marcel Sembat ! Quel magnifique portrait d’un homme politique sous la IIIe République, déchiré entre les lourdes contraintes du métier parlementaire et sa vocation première : être un penseur, écrire, donner à comprendre le monde et, plus encore, l’homme en sa psyché. S’ils intéressent au fond assez peu l’histoire du socialisme français, ces Cahiers sont un document de premier ordre pour qui veut saisir l’homme moderne en toutes ses dimensions.

Nous le reconnaissons comme il est, soumis à un envahissant souci de soi, sans cesse inquiet de lui-même, de son image, de son art de séduire, de l’état de son corps et hanté par sa sexualité. Le voici, en pied, cet homme moderne souffrant de son trop plein de lucidité, disposant de tous les outils intellectuels qui lui permettent d’investir le moindre recoin de réalité. Cet homme moderne toujours insatisfait, malgré tout.

L’hygiène d’un homme
Marcel Sembat siège ainsi dans un déséquilibre installé, oscillant entre bouffées d’enthousiasme, quand les idées se bousculent ou la plume se fait alerte et l’art oratoire atteint sa perfection, et phases de dépression où se succèdent sentiments de faillite personnelle, rêveries indomptées et défaite de la volonté. Sembat pense avec son corps et bataille sans cesse pour résister à toutes les contraintes sociales qui l’enserrent. On découvrira, non sans s’identifier à lui, les mille petites stratégies développées pour pouvoir « travailler », c’est-à-dire gagner du temps, pour lire, pour écrire, pour méditer. Le reste, le travail politique en particulier, n’est rien d’autre que de la dispersion rongeant la santé morale et physique de l’homme qu’il est.
Ces Cahiers sont les instruments privilégiés d’une hygiène qui obsède littéralement Sembat. Il y écrit pour pouvoir se relire et s’assurer ainsi la maîtrise de sa propre vie. Les lecteurs que nous sommes y verront aussi les traces d’innombrables lectures. Ils comprendront comment Sembat travaille, comment il lit, comment il pense, comment il intègre ses expériences quotidiennes au grand livre de la connaissance.

Ordonner sa vie
Les quelque deux ou trois dernières années de la vie de Sembat apparaissent sous un jour absolument étonnant. Vieillissant, observant lui-même les rides qui viennent sillonner son visage, chaque jour un peu davantage, le député socialiste se convertit finalement à l’ascèse. Lui, le franc-maçon socialiste assume soudain la part religieuse de l’homme. Il prie, s’interdit durement les plaisirs de la table, mutile encore davantage son activité onirique qu’il pourchasse depuis tant d’années comme une maladie de l’esprit, découvre enfin, à la lecture de Jules Payot, une méthode exigeante réglant son travail intellectuel. Et, surtout, range et met indéfiniment en ordre ses dossiers et ses projets. Tout est net : il n’y a plus qu’à mourir, sans avoir écrit les trois ou quatre grands livres que Sembat rêvait d’écrire. Le seul rêve qu’il s’autorisa vraiment.
Christophe Prochasson
Lire la critique paru sur le site non-fiction
 

 
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