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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Fulla/Les droites et l'économie 412
POUR UNE HISTOIRE ECONOMIQUE DES DROITES

Par Mathieu Fulla

A propos de Les droites et l’économie en France au XXe siècle,
sous la direction d’Olivier Dard et Gilles Richard
Riveneuve 2011 365 p 26 ?

Article paru dans
L’OURS, n°412 (novembre 2011), p 4
Les historiens ont longtemps paru se désintéresser du rapport des droites à l’économie. De l’ouvrage canonique de René Rémond, La droite en France, à la grande Histoire des droites dirigée par Jean-François Sirinelli, l’étude des questions économiques a toujours fait figure de parent pauvre. Fruit d’un colloque organisé à Metz en mars 2010, cet ouvrage pose un certain nombre de jalons visant à combler cette lacune historiographique. Les articles de la vingtaine de contributeurs ayant participé à l’entreprise mettent en lumière deux traits saillants : la complexité du rapport des droites françaises au libéralisme dans l’espace et le temps ; le caractère éminemment politique de la question économique, objet d’instrumentalisations fréquentes par les partis politiques comme par les organisations patronales et syndicales.


L’ouvrage s’avère particulièrement attentif au tournant néo-libéral du début des années 1980. Aux yeux des contributeurs, le ralliement de la majorité de la droite française aux vertus du néo-libéralisme est rendu possible par l’existence d’une référence théorique idéalisée, de relais intellectuels, politiques et patronaux, et d’un contexte politique favorable.
La référence, ce sont les expériences menées par les droites anglo-saxonnes conservatrices (Romain Huret, Philippe Chassagne) qui, à la fin des années 1970, deviennent un horizon incontournable dans l’imaginaire et les pratiques politiques de leurs homologues françaises. Bernard Lachaise évoque ainsi le virage radical pris par le jeune RPR : chantre de la planification entre 1976 et 1979, le parti gaulliste de Jacques Chirac soumet deux ans plus tard aux électeurs un programme économique fondé sur le slogan « Reagan avec le social en plus ».

Une telle influence n’aurait pas été possible sans le rôle décisif de médiation joué par une partie des élites intellectuelles et politiques du pays. Dans les années 1970, le néo-libéralisme trouve ses plus fervents croisés chez les « nouveaux économistes » (Florin Aftalion, Pascal Salin, etc.) et dans les milieux patronaux. Ces derniers n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai. De l’UIMM (Danièle Fraboulet) dans la première moitié du siècle à l’Institut de l’entreprise (Régis Boulat) en passant par le Centre des jeunes patrons (Florent Le Bot) dans les années 1960, le patronat a toujours su faire entendre sa voix au Parlement. Régulièrement dénoncée, sa collusion avec la droite parlementaire, longtemps surestimée par les socialistes et les communistes, semble s’être accélérée au cours des dix dernières années. N’hésitant pas à aborder l’ère du « sarkozysme », plusieurs contributions insistent sur les affinités renforcées entre grand patronat et gouvernement. Symbolique apparaît ainsi l’exemple de Michel Pébereau : véritable « Don Corleone » du patronat français, l’ancien PDG de BNP-Paribas a inspiré l’essentiel des recommandations du plan de sauvetage des banques françaises en 2008.
Enfin, la victoire idéologique du néo-libéralisme sur le consensus keynésien prévalant depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale est facilitée par les difficultés du gouvernement Mauroy à tenir la monnaie et le déficit budgétaire. Le « tournant de la rigueur » de 1982-1983 s’accompagne de la conversion d’une large partie des élites, de droite comme de gauche, à la cause du marché.

Il faut cependant insister avec les auteurs sur les altérations profondes que fait subir à ce discours libéral limpide la réalité de l’exercice du pouvoir. Si l’avènement de Raymond Barre en 1976 marque « l’entrée de la France dans l’ère néo-libérale » (Gilles Richard), l’étude des mesures concrètes de sa politique économique souligne sans équivoque le primat du pragmatisme sur les considérants idéologiques. Michel Margairaz dans son étude de la politique industrielle barriste, comme Laurence Badel dans celle des affaires commerciales extérieures, soulignent à l’unisson la persistance d’un état d’esprit dirigiste au sein de ministères dont les cadres ont été pour la plupart formés à l’école keynésienne. Surtout, face à l’aggravation de la crise économique et aux échéances électorales, le Premier ministre met sans hésitation son libéralisme en sourdine et soutient les industries traditionnelles en difficulté (sidérurgie, textile, construction navale). Au sein du microcosme politique en effet, les questions économiques ne peuvent être traitées d’un strict point de vue théorique ; elles sont avant tout considérées comme un enjeu de pouvoir. La droite parlementaire sait ajuster ses programmes – notamment en matière fiscale – afin de s’assurer le soutien des PME (Sylvie Guillaume), du petit commerce (Fabrice Grenard) et, avec davantage de difficultés, des artisans (Cédric Perrin). Dans cette lutte sans merci entre droite et gauche pour la conquête de l’électorat populaire, la guerre des représentations fait rage.

L’économie au prisme
des représentations

Certaines études rappellent en filigrane que la vie politique se déroule en permanence sur le plan des actions et sur celui du discours. Si l’objectif premier de l’ouvrage n’est pas de démonter le stéréotype opposant une droite détentrice du monopole de la compétence économique et une gauche socialiste généreuse mais dispendieuse, il n’en présente pas moins la vision de la droite au miroir de l’adversaire. Christine Bouneau revient ainsi sur la violence des affrontements entre la droite parlementaire et la SFIO de l’entre-deux-guerres. La crise des années 1930 pousse la caricature de l’ennemi à son paroxysme. Au mythe des « 200 familles » lancé en 1934 par Édouard Daladier (Jean Garrigues) ou aux invectives de Léon Blum à la Chambre contre la « mafia capitaliste » et la « spéculation internationale » fait écho l’accusation, maintes fois réitérée à droite, d’un Front populaire porteur d’une incompétence économique congénitale.

Cependant, la gauche dispose comme son adversaire de relais et cercles diffusant ses idées en milieu politique et syndical. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le groupe « Reconstruction », pôle intellectuel constitué par les minoritaires de la CFTC autour de Paul Vignaux, présente dans ses Cahiers une analyse critique des expériences libérales menées par Antoine Pinay et Joseph Laniel (Sylvain Schirmann). Proche du mendésisme, le groupe joue un rôle important dans la prise de conscience par la gauche de la nécessité d’une réflexion plus poussée sur les instruments de régulation économique aux mains de l’État.

Naturellement, partis et syndicats ne détiennent pas le monopole des représentations de la droite en économie. Centrée sur le patronat, l’approche culturelle adoptée par Mathias Bernard et Christophe Lastécouères, l’un par l’étude de la chanson française post-68, l’autre au moyen d’une analyse approfondie du film Les Grandes Familles de Denys de la Patellière, confirme avec éclat le caractère pluriel de la figure du patron qui, d’une chanson à l’autre, peut être figurée sous des traits débonnaires ou tyranniques.

Le tournant néo-libéral : la fin des politiques économiques partisanes ?
À la tribune du Palais-Bourbon, Tony Blair déclarait le 24 mars 1998 que « la gestion de l’économie n’est ni de gauche ni de droite : elle est bonne ou mauvaise ». Contre la profession de foi du leader du New Labour, l’analyse historique de moyen-long terme développée dans cet ouvrage permet de s’inscrire en faux contre cette affirmation. S’il est difficile pour Alain Chatriot de trancher cette question délicate dans le cas très particulier des politiques agricoles, des réponses claires sont en revanche apportées dans les autres domaines de la politique économique et sociale, en particulier dans le dernier quart de siècle. Suite à la disparition du gaullisme dont l’attachement à « l’État keynésien modernisateur »1 contribuait à brouiller les cartes entre droite et gauche, les droites parlementaires se sont engagées avec plus ou moins de conviction dans le tournant néo-libéral, ravivant un clivage politique, idéologique et culturel que la croissance forte et durable des « Trente Glorieuses » avait largement contribué à estomper.

Mathieu Fulla

(1) Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Le Seuil, 1990, p. 243-268.
 

 
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