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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Chevandier/Casque d'Or387
CASQUE d’OR ET LES APACHES
par Christian Chevandier

article paru dans L’OURS, n°387, avril 2009


Chronique du Paris apache (1902-1905), présenté et annoté par Quentin Deluermoz (Le Mercure de France, 2008, 245 p, 17,50 €)

Deux romans populistes situés au cœur du Paris populaire à la Belle Époque.

Les Apaches des Vignoles » : le promeneur qui découvre le Paris populaire, ou ce qu’il en demeure, déambulant le long d’un de ces chemins qui sinuait au milieu des vignes il y a un siècle et demi, pourrait être surpris de lire ce panonceau à l’entrée d’un local. C’est que si le film tourné en son temps (1952) par Jacques Becker se situe dans un autre quartier (Georges Sadoul y voyait « une peinture émue de Belleville »), c’est à Charonne, au-delà du Père-Lachaise, qu’évoluaient, un demi-siècle plus tôt Casque d’Or et ses deux amants, Manda et Leca. C’est pour désigner ces sauvages de nos faubourgs que la presse, quelque mois avant une de leurs rixes rue des Haies en janvier 1902, reprit ce mot à l’imaginaire du pays de Buffalo Bill. Et la rue des Haies est la plus proche, presque parallèle à la rue des Vignoles. Évocation cinéphile ou historique plutôt que projet pédagogique, nommer une crèche « Les Apaches des Vignoles » peut sembler une idée singulière, et l’envie est forte de suggérer aux parents des bambins la lecture de ces pages.

Cet ouvrage est composé de deux petits livres, inédits (du moins sous cette forme pour le premier). Il y a d’abord les Mémoires de Casque d’Or, autobiographie de l’égérie de deux de ces bandes rapidement écrite par Amélie Elie pour la revue littéraire Fin du Siècle au début du XXe, publiée par épisode quelques mois plus tard, entre juin et août, alors que l’émoi (l’intérêt ?) suscité par la bagarre de la rue des Haies était encore bien présent dans l’esprit des lecteurs. Le texte est quelque peu arrangé pour être plus lisible, mais n’en est pas moins authentique : en atteste le « traité […] enregistré devant huissier » signé avec Leca et Casque d’Or dont la revue publie le fac-similé en même temps que le premier épisode. La jeune femme (elle a alors 23 ans, et a passé un tiers de sa vie dans ce milieu) se plie volontiers à l’exercice, ne remet en rien en cause l’injonction journalistique et met en scène l’histoire des deux bandes dont les protagonistes se sont battus pour ses beaux yeux. Nous connaissons un peu ces groupes, sur lesquels Michelle Perrot s’était penchée pour un article, « Dans le Paris de la Belle Époque, les “apaches”, premières bandes de jeunes », d’un numéro des Cahiers Jussieu de 1979 consacré aux marginaux et aux exclus dans l’histoire1.

Les pandores contre attaquent
Le second texte est d’une autre nature. L’auteur, Eugène Corsy, est gardien de la paix dans un autre quartier du XXe arrondissement, celui du Père Lachaise, également fréquenté par les deux bandes, celle de la Courtille que dirigeait Manda et celle de Charonne conduite par Leca. Écrit en hommage à Joseph Besse, un de ses jeunes collègues tué par un souteneur lors de sa première nuit de service à l’été 1905, il donne une vision très sombre de ces quartiers populaires, celle somme toute d’un praticien. Jamais publié, échoué un peu par hasard des décennies plus tard aux Archives de la préfecture de police de Paris, il y a été déniché par Quentin Deluermoz qui préparait une thèse consacrée aux policiers parisiens avant la Grande Guerre. C’est ce manuscrit, sans doute destiné, du moins pour son auteur, à une publication, qui y accède un siècle plus tard. L’idée de rassembler ces deux récits leur octroie, explique Quentin Deluermoz, « une tonalité singulière, autorisant, autour du thème alors anxiogène des apaches, un dialogue impossible entre deux groupes que tout oppose, et en même temps que tout rapproche. »

Certes, la lecture de ces textes nous oriente vers l’analyse des rapports entre presse et crime, tels que Dominique Kalifa les mit en perspective dans L’Encre et le Sang. Récits de crimes et société à la Belle Epoque (Fayard, 1995). Mais, même biaisées, les autobiographies sont trop rares dans les milieux populaires pour en rester là. Et si l’on veut vraiment se rendre du côté de Ménilmontant, pourquoi ne pas lire aussi le roman de Jules Frapié, La Maternelle, qui obtint le prix Goncourt en 1904, entre la parution du texte d’Amélie Elie et l’écriture de celui de Corsy. Roman populiste ainsi que l’on disait à une époque où le mot peuple ne semblait pas infamant, le récit de Frapié n’est pas moins désespérant que les deux autres. Ancrées dans la réalité du Paris populaire de ce début de siècle, ces écritures aux statuts dissemblables nous livrent une histoire du peuple de Paris.
Christian Chevandier
(1) Il a été publié ensuite in Michelle Perrot, Les ombres de l’histoire. Crime et châtiments au XIXe siècle, Flammarion, 2001.
 

 
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