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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dreyfus/Duclert 360
ALFRED DREYFUS, JUSTICE POUR UN HOMME
par Michel Dreyfus

Vincent Duclert, Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote, Fayard 2006 1260 p

La monumentale biographie que Vincent Duclert consacre à Alfred Dreyfus rend au capitaine toute sa part dans une affaire où il fut un citoyen exemplaire.

Le centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus a suscité la publication et la réédition de plusieurs ouvrages consacrés à « L’Affaire ». L’Affaire – car il n’y en a qu’une – continue aujourd’hui de passionner les Français tout en s’inscrivant dans la mémoire collective de notre pays. Il existe ainsi certainement un public pour la monumentale Histoire de l’Affaire Dreyfus, écrite en 1908 par Joseph Reinach, puisqu’elle vient d’être rééditée dans la collection « Bouquins », publiée par Robert Laffont.

Un inconnu nommé Dreyfus
Mais surtout le beau livre de Vincent Duclert nous montre que l’Affaire, sur laquelle on pouvait penser que tout a été écrit, reste encore mal connue sur plusieurs points. Et en particulier sur celui qui en fut, bien malgré lui, le principal protagoniste et la grande victime. Vincent Duclert part de deux constats irréfutables. Tout d’abord, aucune biographie n’avait été consacrée jusqu’à ce jour au Capitaine. Si, à travers l’histoire de l’Affaire qui bouleversa sa vie, nous connaissions beaucoup de choses sur lui, nous restions ignorants sur bien d’autres. Ou plutôt, nous considérions trop souvent Alfred Dreyfus sur la base d’a priori et de jugements hâtifs et répétitifs : nous en avions une vision déformée qui, remontant à l’Affaire, s’est maintenue jusqu’à nos jours et a faussé le jugement de plusieurs générations. En effet, il a longtemps existé un discours dont on trouve encore des traces, selon lequel Alfred Dreyfus n’aurait pas, en définitive, été à la hauteur de son rôle. Combien de fois avons-nous lu et entendu des qualitatifs peu élogieux sur Alfred Dreyfus censé ne pas avoir été l’homme de la situation : il n’aurait rien compris à ce qui lui arrivait, il s’exprimait laborieusement, il était incapable de susciter l’émotion et moins encore la sympathie. De plus, en ayant le grand tort d’accepter la grâce présidentielle consécutive au procès de Rennes en 1899, il aurait dénaturé le combat de tous ceux qui se sont levés pour le défendre. Eut-il même été dreyfusard, se demandait Léon Blum en 1935 dans ses Souvenirs sur l’affaire(1) ? S’il est évidemment impossible de répondre à cette question qui n’a pas de sens, je puis attester, tradition familiale oblige où l’on est totalement dreyfusard, que j’ai plusieurs fois entendu des jugements critiques de ce genre. Plusieurs dreyfusards importants – Léon Blum n’est pas le seul – ont contribué, sans toujours bien s’en rendre compte, à diffuser une telle image. Cette vision négative du capitaine Dreyfus a été colportée et amplifiée dans le camp des antidreyfusards et ce ceux qui, bien après la réhabilitation de 1906, ont persisté, au mépris de toute vérité historique, à affirmer que l’Affaire recelait encore des aspects obscurs : ces zones d’ombre, il fallait les rechercher, bien entendu, en direction de son principal acteur. Pour toutes ces raisons, on connaissait mal la personnalité du Capitaine dont la réalité était enfouie sous un ensemble d’images convenues, fausses ou déformées.
Nul autre que Vincent Duclert n’était mieux en mesure de nous restituer la véritable figure d’Alfred Dreyfus : depuis plusieurs années, il a en effet consacré de nombreux travaux à l’Affaire dont il est devenu un des meilleurs spécialistes. Son ouvrage qui repose sur de multiples sources inédites a le grand mérite de revisiter des épisodes et des personnages que nous croyions connaître. Ils nous semblaient familiers mais grâce à Vincent Duclert nous les voyons d’un œil différent et nous devons réviser certains de nos jugements. Comme je ne puis ici rendre ici compte de tout ce qu’offre cet ouvrage considérable, je m’efforcerai d’aller à l’essentiel.

Un calvaire qui débute tôt
En préambule, Vincent Duclert montre très bien, dans un chapitre intitulé « le début de la fin », comment Alfred Dreyfus, polytechnicien, artilleur et juif, détonnait dans un état-major dirigé par des notables terriens, traditionalistes et catholiques. Il n’avait aucune chance de s’y frayer un chemin. Son sort était scellé avant même la découverte du bordereau, même si, sans cet épisode, il n’y aurait, bien entendu, jamais eu d’Affaire. La dégradation de Dreyfus (5 janvier 1895) est un autre passage obligé dans cette histoire et certainement un de ses épisodes les plus connus : Vincent Duclert est le premier à montrer combien il fallut à Alfred Dreyfus un courage hors du commun pour, face à une foule hostile et violemment antisémite, affronter la hiérarchie militaire, oser clamer son innocence et défendre sa dignité. Ce premier acte de résistance lors de cette parade atroce détermina toute sa conduite ultérieure. Vincent Duclert décrit également avec de multiples détails le calvaire que fut la déportation à l’Ile du Diable et en quoi les brimades et les humiliations incessantes subies par Alfred Dreyfus pendant près de cinq ans furent faites dans l’illégalité la plus totale. Ce sont aussi des choses que l’on pensait connaître mais le dossier minutieux et irréfutable présenté par Vincent Duclert, étonne, accable et émeut. Enfin, trop souvent l’Affaire, ayant perdu de son aspect « héroïque » après la grâce consécutive au Procès de Rennes en 1899, est rapidement expédiée, voire escamotée. Vincent Duclert met bien en valeur les grands efforts mais aussi les nombreuses difficultés éprouvées par Alfred Dreyfus pour obtenir sa réhabilitation. Mieux, il démontre parfaitement en quoi cette réhabilitation fut loin d’être pleine et entière. La remise de la Légion d’honneur à Alfred Dreyfus, le 20 juillet 1906, fut faite à la sauvette et sa carrière ne fut pas reconstituée comme elle l’aurait dû l’être, ce qui le conduisit à démissionner de l’armée en 1907. On mesure à cette dernière injustice sur laquelle se clôt l’Affaire en quoi les passions restaient vives et combien le gouvernement, par peur des remous, manqua de courage. On oublie trop souvent que la grande victime de l’Affaire ne fut pas entièrement réhabilitée dans ses droits.
Tout au long de son ouvrage, Vincent Duclert montre comment durant ces douze ans, Alfred Dreyfus ne cessa de défendre son honneur et sa dignité. Jamais, il ne rechercha la pitié, jamais il ne chercha à jouer sur l’émotion de l’opinion : le lui a-t-on assez reproché ! Innocent il l’était et il voulait le démontrer sur la seule base d’une argumentation rationnelle. Grâce à Vincent Duclert, on mesure l’étendue des atteintes faites à la légalité, au nom de la raison d’État, par la IIIe République encore jeune. Cette raison d’État fit tout ce qu’elle put pour broyer un innocent : les pratiques gouvernementales, militaires, judiciaires et pénitentiaires annoncent, sans le savoir, ce que feront, de façon massive, les États totalitaires et autoritaires du XXe siècle. Dans ces conditions, on mesure mieux le courage exceptionnel qu’il fallut à Alfred Dreyfus pour résister à des épreuves auxquelles rien ne le préparait. Vincent Duclert met ainsi en pièces l’image convenue que nous avions d’Alfred Dreyfus : il le réhabilite des critiques injustes qui lui ont été faites durant l’Affaire et depuis. Si Alfred Dreyfus n’avait pas eu ce courage et cette volonté inébranlable de recouvrer son honneur, il n’y aurait jamais eu d’Affaire car il eut brisé des 1894.

Ferdinand Forzinetti et
Lucie Dreyfus

Il fut d’ailleurs bien près de l’être. Un autre mérite de cet ouvrage est de mettre en lumière ceux qui aidèrent le capitaine à résister. Certes, on les connaissait, mais maintenant on mesure mieux leur rôle. Deux personnes jouèrent un rôle essentiel pour le capitaine : le premier est Ferdinand Forzinetti, commandant de la prison de la Santé, qui, très tôt convaincu de l’innocence de son prisonnier, fut le premier dreyfusard. De son côté, Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, est très jeune lorsque l’Affaire débute puisqu’elle n’a que 25 ans : elle n’en fait pas moins preuve d’une maîtrise et d’un courage impressionnants. En témoignant une confiance absolue à son mari, en lui faisant jurer de lutter pour son honneur et celui de ses enfants, en lui écrivant ensuite des lettres bouleversantes, Lucie Dreyfus apparaît comme une personnalité remarquable qui manifeste une autonomie, voire une indépendance très supérieures à celle de la moyenne des femmes de son temps. En revanche, il me semble que la figure de Mathieu Dreyfus, le « frère admirable », aurait pu être davantage mise en valeur mais il est vrai qu’il est très connu. Je regrette également que Vincent Duclert, qui a tout lu sur l’Affaire et sur ce qui la concerne, n’ait pas utilisé la thèse monumentale qu’Emmanuel Naquet a soutenue, il y a un an, sur l’histoire de la Ligue des droits de l’homme de 1898 à 1940 ; cette thèse va d’ailleurs être publiée prochainement.
Mais ce ne sont que là que vétilles au regard de ce travail historique remarquable. Il aborde également le problème très actuel de la question du droit et du rapport de l’individu face à l’arbitraire de la raison d’État. En ce domaine, l’Affaire reste, hélas, tout à fait contemporaine.

Michel Dreyfus

(1) Léon Blum, Souvenirs sur l’Affaire, préface de Pascal Ory, Gallimard, 1981 (Folio 51, p. 34)

@ L’OURS n°360 juillet-août 2006. p. 8
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