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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dreyfus/Boulouque-Liaigre382
LA CHASSE AUX TRAITRES DU PCF
Par Michel Dreyfus
L’OURS 382, novembre 2008-12-04
A propos de Sylvain Boulouque, Franck Liaigre, Les listes noires du PCF, Calmann-Lévy 2008 262 p 23 €

De 1933 à 1945, le PC a chassé de ses rangs 2300 militants qu’il a dénoncé publiquement dans 28 listes noires. Retour sur un phénomène spécifique.

Peu étudiée jusqu’à une époque récente, la notion de trahison n’en est pas moins présente sous de nombreuses formes dans la vie et le discours politiques, comme l’ont encore montré des exemples récents. Cette notion est datée. Au sein des organisations ouvrières, elle apparaît en France au lendemain de la Grande Guerre, à travers la dénonciation des socialistes par les communistes : selon ces derniers, la SFIO aurait trahi ses idéaux en participant à l’union sacrée. Ce type d’attaques contre les socialistes aura la vie longue, même s’il variera beaucoup selon les périodes. Mais la « vigilance révolutionnaire » contre la trahison s’exercera également dans les rangs mêmes du PC puisque, de 1933 à 1945, il chassera de ses rangs 2 300 militants qu’il aura dénoncé publiquement dans vingt huit listes noires. Tel est l’objet de ce livre

Les ressorts de l’épuration
La disqualification de l’adversaire est d’abord pour le PC un moyen d’épurer ses rangs des oppositionnels, à travers les multiples exclusions qui scandent sa construction durant sa première décennie. Les départs se font ensuite plus rares, sans pour autant disparaître, comme le montrent différentes « affaires », l’affaire Barbe Célor étant la plus connue et la plus importante. Au début des années 1930, se met en place au sein du PC une commission des cadres surveillée par l’IC. Après une période de tâtonnements (1933-1935) qui voit la publication des trois premières listes de traîtres, s’ouvre l’ère de la massification du PC sous le Front populaire. Il conquiert alors une véritable audience à l’heure où, pour justifier les grands procès de Moscou, il n’hésite pas à faire appel aux souvenirs des procès et des exécutions survenues durant la Révolution française : la dénonciation des traîtres sert à faire face à des risques de scission, tels que le départ de Jacques Doriot, ou la supposée menace du groupe « Que faire ? » Le PC se débarrasse aussi de ces traîtres pour une autre raison qui repose uniquement sur une fiction, sur un mythe : celui de l’ennemi de l’intérieur. La dénonciation des traîtres a une dernière fonction : elle est censée riposter au complot – imaginaire – que mèneraient les trotskystes. Une troisième vague de dénonciations, la plus vaste, s’organise à partir du Pacte germano-soviétique et des départs qu’il provoque, puis durant les quatre ans de guerre. Sylvain Boulouque et Franck Liaigre en profitent pour revenir sur plusieurs affaires connues (Déziré, L. Goldfarb, etc.) mais qui n’ont jamais été totalement élucidées jusqu’à ce jour. Et surtout, le PC désire liquider un certain nombre de ses responsables qui l’ont quitté à la suite du Pacte, les plus visés étant les membre du fantomatique Parti ouvrier et paysan français (POPF) : son principal dirigeant, Marcel Gitton, est abattu en 1941. À partir de la Libération, le PC arrête de publier des listes noires, car elles iraient à l’encontre de l’image glorieuse et sans tache que veut donner de lui-même le « Parti des fusillés » : il n’a jamais eu de traîtres dans ses rangs.

Le thème de la trahison a déjà été abordé dans les travaux portant sur les exclusions et les dissidences du PC, dans un ouvrage de Jean-Marc Berlière et de Franck Liaigre1 ainsi que dans un ouvrage récent coordonné par Sylvain Boulouque et Pascal Girard2. Par ailleurs, nos auteurs utilisent également dans ce livre les nombreux apports du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Aussi, sans être complètement nouveau, leur ouvrage approfondit toutefois la réflexion historiographique sur le communisme français en montrant la place centrale qu’a la figure du traître dans son imaginaire : puisque le monde est en guerre, il n’existe que deux camps et comme l’a dit Lénine, « qui n’est pas avec nous est contre nous ». Dans cette vision du monde, le traître, que l’on peut classer en trois grandes catégories – sociale, morale et politique –, occupe une place de choix dans les représentations.

Un phénomène spécifique
Il s’agit d’ailleurs d’un phénomène spécifique à l’histoire du communisme et particulièrement à celui de notre pays, même si des listes analogues ont aussi été publiées par les PC de Belgique et des USA. La dénonciation des « traîtres » par le PC s’inscrit en France dans une longue tradition qui remonte aux « déviants » de l’Eglise et bien plus encore à la Grande Révolution avec la loi sur les suspects du 17 septembre 1793. De son côté, le Parti socialiste a aussi publié quelques listes de ses « traîtres » mais seulement durant un bref laps de temps, dans le contexte très particulier de la Seconde Guerre mondiale. Le PC est le seul à avoir stigmatisé ces traîtres avec une telle insistance et sur une aussi longue durée : la trahison permet donc de mieux le connaître, comme ce livre en fait brillamment la preuve.
Michel Dreyfus

(1) Jean-.Marc Berlière, Franck Liaigre, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF (1941-1942), Robert Laffont, 2007 (L’OURS n° 371, 2007)

(2) Traîtres et trahisons. Guerres, imaginaires sociaux et constructions politiques, sous la direction. de Sylvain Boulouque et Pascal Girard, Seli Arslan, 2007. (L’OURS n° 368, 2007)
 

 
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