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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux/Rouilleault 397
La démocratie sociale à la réforme
par Alain BERGOUNIOUX
a/s de Henri Rouilleault, Où va la démocratie sociale ? Diagnostic et propositions, Éditions de l’Atelier, 2010, 240 p, 21 €
article paru dans L’OURS n°397, avril 2010, p. 3

Comment s’articulent (et pourraient le faire dans l’avenir) la démocratie politique et la démocratie sociale, qui ont rarement fait bon ménage dans l’histoire ? C’est la question clef que pose Henri Rouilleault, bon expert des questions sociales qu’il a observées de près à différents postes de responsabilités, le moindre n’ayant pas été la direction de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail pendant plus d’une dizaine d’années.

Voici un livre qui vient au bon moment. Alors, en effet, que les crises économiques et financières accroissent les inquiétudes sur le devenir de l’État social, les interrogations sur ce que peuvent faire les acteurs sociaux, syndicats et patronat, sont réelles. Nombre de responsables et de commentateurs s’accordent, depuis plusieurs années, pour parler d’un système de relations professionnelles « à bout de souffle ». Et pourtant les responsabilités des acteurs sociaux sont importantes tant pour ce qui concerne le marché du travail, et donc l’emploi et la formation, la protection sociale, les maladies et les retraites, les nouveaux défis que sont la dépendance et l’environnement.

Diagnostic
La première partie de l’ouvrage porte sur le diagnostic et dresse un historique éclairant de ce qu’ont été les évolutions des relations professionnelles en France. L’auteur rappelle les conditions qui ont fait que la place de la négociation collective est restreinte. La Révolution française, qui a donné le primat à la loi et qui a délégitimé les corps intermédiaires, la constitution tardive du syndicalisme, après que le suffrage universel masculin ait été établi, l’opposition de la majeure partie du patronat au mouvement ouvrier et à sa représentation dans l’entreprise, la radicalité du mouvement syndical lui-même, avec le syndicalisme révolutionnaire, puis avec l’emprise du communisme. Tout cela explique que les relations sociales ont reposé sur un « triangle » conflictuel entre le patronat, les syndicats et l’État. La tendance a bien été depuis la Première Guerre mondiale à l’institutionnalisation progressive. Mais ni 1936 ni la Libération n’ont pu établir une pratique stable de la négociation sociale.

Tout cela est connu et pèse encore aujourd’hui sur la situation sociale. Les règles de la représentativité des syndicats et de la négociation collective ont été établies sous la IVe République pour contourner la CGT. Les pages les plus intéressantes – et les plus détaillées – sont consacrées à décrire la situation contemporaine. Les années après 1968 ont été marquées par un double phénomène, une radicalité contestatrice d’abord, avec la CGT et la CFDT, mais, également, la recherche d’une modernisation économique et sociale négociée. Après l’échec de la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas – et de Jacques Delors son conseiller social – tombée sous la méfiance de la droite, on aurait pu penser que la gauche après mai 1981 allait réussir à établir un système fondé sur une négociation équilibrée. Des éléments allèrent en ce sens, avec les lois Auroux de 1982, qui ont créé notamment l’obligation de négocier dans les branches professionnelles et dans les entreprises. Mais le « tournant de la rigueur » rendit les compromis difficiles. Henri Rouilleault a raison de souligner l’importance de l’échec de la négociation interprofessionnelle de 1984 sur la flexibilité du travail.

Une évolution chaotique a marqué les années suivantes, faites de conflits de légitimité entre les gouvernements, le Parlement et les syndicats, d’un émiettement continu du mouvement syndical, avec la création de nouvelles organisations, SUD, l’UNSA, la FSU, la volonté du patronat malgré quelques hésitations d’aller vers la décentralisation de la négociation dans l’entreprise, où le syndicalisme est faible, les tentations de gouvernements de passer en force, parfois avec succès, comme en 2003, avec la loi Fillon sur les retraites, souvent en entraînant l’échec, comme en 1995 avec le plan Juppé, ou en 2006 avec la CPE de Dominique de Villepin. Malgré tout, de nouvelles règles se dessinent peu à peu. La loi Aubry de janvier 2000 a lié les accords sur la RTT dans les entreprises à leur caractère majoritaire. La loi Larcher de janvier 2007, s’inspirant du protocole social du Traité de Maastricht, a établi le principe d’une consultation préalable des partenaires sociaux avant le vote d’une loi au Parlement. La même année, le MEDEF, la CGPME, la CGT et la CFDT ont trouvé un accord sur une « position commune » fixant de nouveaux critères de représentativité avec le vote des salariés. Le gouvernement fait voter, en 2008, une loi transposant avec accord dans un calendrier qui s’étend jusqu’en 2013. Une recomposition syndicale est donc en cours, à la fois par le bas, dans les entreprises, et par le haut, dans le jeu des organisations. La gravité des problèmes, accusés par la crise du capitalisme, rend les choses plus complexes et laisse évidemment nombre de questions ouvertes.

Démocratie sociale :
le par(t)i de la réforme

Aussi, l’auteur prend la parole, dans la seconde partie de l’ouvrage, pour indiquer ce qui lui semble être les directions souhaitables pour réellement réformer la démocratie sociale qu’il pense inséparable de la démocratie politique. Il prend explicitement parti pour ce que pourrait être un avenir « social-démocrate », à la différence d’une vision néo-libérale ou d’une conception étatiste. On retrouve, donc, nombre d’inspirations de ce qu’a porté « le parti de la réforme » depuis les années 1960, avec le rapport Bloch-Lainé de 1963 jusqu’aux propositions actuelles des « think-tanks » réformistes. Il n’est pas étonnant que le premier chantier soit l’entreprise avec le schéma d’une nouvelle gouvernance. Le développement de la négociation collective à tous les niveaux est une idée force. Cela suppose d’aller au bout de la réforme de la représentativité et de l’instauration de l’accord majoritaire. Ce sont des conditions pour négocier les restructurations industrielles qui marquent l’économie française. Henri Rouilleault reprend le projet, porté sous des noms différents par la CGT et la CFDT, d’une sécurité sociale professionnelle. Il affronte la difficulté de revenir sur « une hiérarchie des normes », qui ne peut être celle d’avant les années 1980, mais qui évite la dérégulation libérale. Il aborde, pour terminer, le vaste champ de la protection sociale pour suggérer une répartition plus claire des responsabilités entre l’État, le patronat et les syndicats.

Ce sont là des propositions offertes à la discussion. Mais elles sont solidement étayées et, pour tout dire, convaincantes. Car elles dessinent la vision d’un État social actif, décidé et capable d’entraîner les forces sociales pour affronter des problèmes qui supposent la coopération de tous dans la recherche des solutions.
Alain Bergounioux
 

 
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