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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dupont / Candar, Duclert, Jaurès / L'OURS 437
L’unité foisonnante de Jaurès,

par CLAUDE DUPONT

à propos du livre de Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Fayard, 2014, 685 p, 27 €

Article paru dans L’OURS 437, avril 2014, page 4.


Il existe déjà un certain nombre de biographies de Jaurès, dont certaines très intéressantes. Mais Gilles Candar et Vincent Duclert, tous deux éminents jaurésiens, nous offrent avec cet ouvrage imposant, une remarquable somme qui fera désormais référence.

Biographie politique, c’est sûr. Peu de détails en effet sur le personnage privé. Rien, ou peu de choses, sur ce que fut « Jaurès en famille ou en pyjama. » La pudeur légendaire de l’homme, l’extrême discrétion des proches laissaient peu de matière aux auteurs. La vie de Jaurès s’est confondue avec sa pensée, pour former ce fleuve immense dont nous suivons le cours impétueux mais régulier, qui part du terroir tarnais pour aboutir sur le devant de la scène européenne.

Une biographie met généralement en évidence l’évolution des êtres, en souligne les mutations, voire les retournements. Or, ce que soulignent magistralement nos deux historiens, c’est l’incroyable unité de sa démarche et de sa pensée. Unité foisonnante, certes. Mais évidente. Comment expliquer une telle cohérence chez un homme qui siège une première fois à la Chambre des députés en 1885 sur les bancs du centre gauche, parmi les amis de Jules Ferry, ceux que l’on appelait les « opportunistes », et qui y reparaît quelques années plus tard comme flamboyant porte-parole de l’extrême gauche parlementaire ?

Le culte de la République
L’explication est simple : en adhérant au socialisme, Jaurès n’a pas tourné le dos à la République, dont il a toujours eu le culte. Dès son premier mandat, la question sociale est au cœur de ses interventions, et son entrée en socialisme n’est pas vécue comme un revirement, mais comme le déploiement logique d’une vérité implicite : « Le socialisme proclame que la République doit aboutir à la politique sociale. » Le socialisme élargit le fleuve républicain, sans en modifier le cours. Jamais Jaurès n’opposera le réformisme à la révolution. Au contraire, le réformisme confère une force au socialisme en offrant un sens pratique à la théorie. À tous les détracteurs du collectivisme, qui en dénoncent le côté liberticide, il répond inlassablement que, loin d’être un péril, le socialisme constitue un garant, « la meilleure garantie économique de la liberté pour tous ».

Le socialisme est donc le volet social de la République. Et, deuxième conciliation essentielle, l’idéalisme ne saurait être dissocié du matérialisme. C’est tout au long de sa vie que s’épanouit cette synthèse majestueuse qui voit Jaurès accepter la thèse marxiste accordant au réfléchissement des phénomènes économiques dans le cerveau, le développement de l’humanité, mais à condition de ne jamais oublier qu’au germe de l’humanité préexiste l’aspiration à la dignité, à la justice, cette justice qui est « le sens idéal de l’histoire humaine » et qui se situe toujours en surplomb de la démarche humaine. D’où l’importance essentielle dans son existence de l’Affaire Dreyfus, qui le voit même se dresser de toute sa stature face à certains socialistes inquiets de le voir se compromettre trop vigoureusement dans la défense d’un membre de la caste militaire, soutenu par la bourgeoisie juive : « Nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l’humanité. »

C’est vrai qu’il ne sût vaincre tous les obstacles. À l’intérieur même de son camp, il connut parfois l’échec. Mais ce que note très bien l’ouvrage, c’est la capacité de Jaurès à toujours dépasser les situations difficiles, à ne jamais s’enfermer dans des voies sans issue. En 1896, les progressiste prennent leurs distances avec la gauche et attaquent durement les socialistes. Jaurès riposte en durcissant ses revendications sociales et en contribuant puissamment à la mise au point du « programme de Saint-Mandé » qui marque une étape majeure dans le processus de l’unification socialiste. En juillet 1899, sa lutte dreyfusarde et ses prises de position « participationnistes », favorables à l’entrée de socialistes dans des gouvernements de gauche, lui valent de dures critiques de l’aile gauche des socialistes. Aussitôt, il reprend la main en demandant un congrès général des socialistes et en accélérant le rapprochement avec les socialistes étrangers. Toute sa vie, l’élan balaiera les réticences, l’action étouffera les critiques.

Le socialisme, une éducation
Gilles Candar et Vincent Duclert insistent sur le fait que sa vie fut une recherche permanente de « la base et du sommet ». Jaurès aura été à la fois l’immense tribun tonnant au pied des cloches de Bâle, et le parlementaire consciencieux, possédant le détail de ses dossiers, et s’intéressant de près aux revendications syndicales et au fonctionnement des coopératives. Il aimait dire que la République n’était pas seulement un régime, mais une « méthode ». Il aurait pu ajouter que le socialisme n’était pas seulement un idéal à réaliser, mais un apprentissage quotidien, une éducation, qui permettait de libérer l’individu avant même l’avènement de la société future.

On remarquera que les auteurs emploient le procédé du flash back. La biographie de Jaurès commence par son assassinat, par la mort de la première victime d’un conflit dont le spectre le hantait depuis une dizaine d’années. Ce n’est pas un idéal de pacifisme intégral qui le pousse. C’est d’abord la réaction morale d’un humaniste qui sait que la guerre ramène l’être humain au niveau du « tigre et du chacal ». Mais c’est aussi l’angoisse du parlementaire qui a sans doute étudié avec le plus d’attention la question militaire et qui a prévu avant tout le monde le carnage inouï qui ensevelirait l’Europe.

Les derniers chapitres sont consacrés à la postérité de Jaurès, à la trace qu’il a laissée, à cette énigme d’un homme politique qui ne fut ni chef de parti ni ministre et qui connut une gloire inégalée. La réponse à l’énigme est peut-être dans cette réflexion de Joseph Paul-Boncour : « Jaurès était un grand miroir qui reflétait tous les points de la complexité de l’univers. Nous sommes, chacun de nous, un morceau de ce miroir. »

Claude Dupont
 

 
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