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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Mémoires de P Mauroy, par A Bergounioux
PIERRE MAUROY, UN DEMI-SIECLE A GAUCHE
par Alain Bergounioux

a/s de
Pierre Mauroy
Mémoires
« Vous mettrez du bleu au ciel »

Plon 2003 507 p 24 €


C’est peu dire que les mémoires de Pierre Mauroy étaient attendues. Il a, en effet, profondément marqué l’histoire du socialisme et de la gauche dans les trente dernières années. Mais – cela est moins connu – dès le début des années 1950, en devenant secrétaire national des Jeunesses socialistes, il a été un acteur notable de la vie socialiste.
Il peut apporter ainsi un précieux témoignage sur plus d’un demi-siècle d’histoire.


Les amateurs de petites phrases assassines seront déçus. Comme dans toute sa vie politique, Pierre Mauroy se montre respectueux des personnes – même de celles qu’il a combattues. C’est suffisamment rare pour être souligné. Mais cela tient aussi au fait que Pierre Mauroy a choisi essentiellement de confronter les socialistes à leur propre histoire. C’est ce qui donne le ton du livre. Et c’est ce qui fait son intérêt. Bien sûr, Pierre Mauroy donne « sa » vision politique et explique ce qui fut son rôle dans des moments particulièrement importants. Mais son ambition est bien de livrer dans ces pages une réflexion sur le sens du socialisme hier et aujourd’hui. Et, c’est, de ce point de vue, un livre qui devrait être lu et médité par les militants socialistes bien sûr et plus largement par toutes celles et ceux qui ont à cœur le passé et l’avenir de ce courant politique qui ne fait qu’un avec l’histoire contemporaine de la France.

Un social-démocrate à la SFIO
Les premiers critiques ont déjà souligné la grande continuité des idéaux de l’ancien maire de Lille. Ses engagements, en effet, n’ont guère changé depuis son adhésion à 16 ans aux Jeunesses socialistes. Né dans un milieu imprégné de valeurs socialistes, avec l’exemple fort du jeune député d’Avesnes, Léo Lagrange, mort au combat en 1940, son adhésion était sans doute naturelle. Mais, ensuite, rien n’était écrit. Il y a de nombreux exemples d’hommes « nés » à gauche qui n’y sont pas restés… Tel n’a pas été, on le sait, le sort de Pierre Mauroy. Il faut dire que son militantisme s’est enraciné dans une triple expérience, l’adhésion partisane d’abord, mais très vite également l’activité syndicale au Snetaa, au sein de la Fen, dont il devint le secrétaire général en 1955, soit à 27 ans, et le bénévolat associatif, avec la Fédération Léo-Lagrange, créée en 1951, dont il est le premier secrétaire général, avant d’en devenir le président pour de longues années. Il n’y a alors nulle raison de s’étonner que Pierre Mauroy incarne dans le socialisme français l’esprit social-démocrate ! Il a, dans son action, réalisé la synthèse qui existe dans les pays de l’Europe du Nord et qui est si rare en France. Notons que, dans ces trois domaines, Pierre Mauroy atteignit rapidement un haut niveau de responsabilités, secrétaire national des Jeunesses socialistes, secrétaire général du Snetaa, pressenti pour le secrétariat général de la Fen en 1958, secrétaire général, puis président de la Fédération Léo-Lagrange. Ce n’est pas mal pour un militant de moins de 30 ans ! Cela traduit aussi un bel appétit de pouvoir.
Mais l’ambition qui a animé le jeune militant a été mise au service d’une formidable envie de construire et de changer les réalités. Elle manifeste, en même temps, un fort attachement aux organisations et à leur bon fonctionnement. C’est un souci que l’on retrouve dans toute la vie politique de Pierre Mauroy. C’est son caractère « légitimiste », qui lui a été parfois reproché par ses « adversaires » ou même ses « amis » dans le Parti socialiste. Il a commencé sa carrière politique et nationale au congrès particulièrement houleux des Jeunesses socialistes, à Montrouge, en mars 1947, où il a défendu la ligne de la direction nationale contre les « trotskistes » qui dominaient alors le mouvement et allaient faire scission à l’automne. Critique vis-à-vis de la politique algérienne de Guy Mollet, il s’éloigna et quitta ses responsabilités nationales à la SFIO pour s’investir dans la vie syndicale et associative, mais il n’adhéra pas au Parti socialiste autonome, et, entre au comité directeur de la SFIO dès 1963. Après 1971, dans les congrès du Parti socialiste, il a le plus souvent plaidé pour la « synthèse », attentif à tout ce qui pouvait affaiblir le parti. Cela l’a amené, non moins souvent, à rechercher des compromis. Cet aspect de l’action de Pierre Mauroy est explicite dans les divers récits que rapportent ses mémoires. Il aurait sans doute mérité une réflexion en soi de l’auteur, tant peu d’hommes et de femmes politiques accordent comme lui l’attention nécessaire à la vie interne des organisations.

Une voie pour la rénovation
Un autre point important du livre porte sur la rénovation du socialisme au tournant des années 1960 et 1970. Pierre Mauroy s’est inscrit dans un courant rénovateur avec entre autres des amis comme Roger Quilliot, Robert Pontillon et encore Roger Fajardie pour changer les méthodes du parti. Mais, il entendait que cette rénovation se fît à gauche. Ce qui l’a rapproché de Guy Mollet et écarté de la tentative de Gaston Defferre en 1964 de créer une grande fédération avec le MRP malgré leur souci commun de modernisation. Pierre Mauroy rapporte fidèlement la première conversation décisive qu’il eut avec François Mitterrand, candidat à l’élection présidentielle en 1965. Mais jusqu’à la fin de l’année 1968, sa conviction n’était pas faite que la rénovation du socialisme et de la gauche viendrait de l’extérieur de la « vieille maison ». Il a regroupé ses réseaux avec la création du Centre d’étude et de promotion (Cedep) en 1966. Devenu secrétaire général adjoint de la SFIO, il joua un rôle de plus en plus important dans son parti et à la FGDS. Implanté désormais dans la fédération du Nord, vice-président du conseil général, il a acquis une influence déterminante dans une des plus importantes fédérations socialistes. Jusqu’au congrès d’Issy-les-Moulineaux, en juillet 1969, Pierre Mauroy avait pensé qu’il pourrait prendre la tête des socialistes et réaliser ainsi la fusion avec la Convention des institutions républicaines de François Mitterrand. L’élection d’Alain Savary grâce à Guy Mollet marqua une rupture entre les deux hommes. Ce dernier voulait maintenir son influence déterminante à travers ses hommes et Pierre Mauroy voulait avoir les mains libres. L’intérêt de ces pages est de montrer – alors que le temps écoulé désormais a par trop simplifié le processus qui a conduit à la naissance du parti d’Épinay – que la rénovation a été laborieuse, qu’il n’y avait pas qu’un seul projet de rénovation, celui de François Mitterrand, mais qu’il a fallu plusieurs concours de circonstances pour qu’une issue fût trouvée. Les conflits personnels ont eu leur part. Mais ils se sont cristallisés autour d’orientations stratégiques finalement dessinées assez tôt.

Le choix de François Mitterrand
L’échec de Gaston Defferre et de Pierre Mendès France à l’élection présidentielle de 1969 a convaincu Pierre Mauroy que la SFIO ne pouvait plus assurer le renouvellement de la gauche. Devenu en quelque sorte « chef de l’opposition » dans le nouveau Parti socialiste après Issy-les-Moulineaux, il noua les fils d’une coalition autour de François Mitterrand pour imposer une autre stratégie que celle d’Alain Savary et de Guy Mollet, « le dialogue idéologique » pour arriver à l’union avec les communistes, et mettre en place d’autres équipes. Pierre Mauroy ne cache pas que le congrès d’Épinay s’est préparé « dans la dissimulation ». Il s’est joué à peu de voix – « l’abstention » d’Augustin Laurent ayant été décisive. Il aurait pu d’ailleurs se terminer par l’élection de Pierre Mauroy comme premier secrétaire et non celle de François Mitterrand, si la proposition faite par Augustin Laurent de prendre sa succession à la mairie de Lille, ne l’avait pas retenu.
C’est peu de dire que le sens du congrès d’Épinay lui fut donné par ses fruits ultérieurs. Sur le moment, il fut passablement « confus » selon les termes mêmes de Pierre Mauroy. Les années qui ont suivi sont plus présentes à l’esprit. Elles ont été évidemment dominées par la personnalité et l’action de François Mitterrand. Il n’est nul besoin ici de les rappeler. Ce qui retient l’attention, c’est le rapport que Pierre Mauroy a noué avec le premier secrétaire et, ensuite, le président. Profondément séduit – le mot n’est pas trop fort – par François Mitterrand, convaincu de la justesse de sa vision stratégique, Pierre Mauroy, devenu maire de Lille en 1973, a cependant maintenu ses propres déterminations. Ce fut lui qui convainquit le premier secrétaire de poursuivre l’élargissement du Parti socialiste en mettant en œuvre les Assises du socialisme, à l’automne 1974, avec Michel Rocard, entraînant une partie du PSU, et des militants de la CFDT. Les heurts avec la Ceres de Jean- Pierre Chevènement, mais, de plus de conséquence, avec les « conventionnels » ont été fréquents. L’inquiétude que le Parti ne prenne une ligne plus réaliste après l’échec des élections législatives de 1978 et la rupture de l’union de la gauche expliquent que Pierre Mauroy se soit retrouvé aux côtés de Michel Rocard au congrès de Metz en 1979. Mais la connivence avec l’ancien secrétaire national du PSU n’était pas profonde. Pierre Mauroy ne voulait pas remettre en cause le rôle de François Mitterrand repoussant ainsi le caractère de « primaire » interne que manifestait l’opposition Mitterrand-Rocard. Minoritaire, après Metz, constituant un courant politique « Socialisme et Réalité », Pierre Mauroy entretint néanmoins des liens réguliers avec François Mitterrand et le soutint dans la préparation de sa candidature victorieuse de 1981. La « sympathie » qu’il avait vis-à-vis de Michel Rocard n’a pas équilibré l’amitié qu’il eut vis-à-vis de François Mitterrand.

Les années Matignon
Le cœur du livre porte évidemment sur les années à Matignon de Pierre Mauroy entre le printemps 1981 et l’été 1984. Elles commencent à être bien étudiées. Le colloque de 1999 sur « Les années du changement1 », dont les actes ont été publiés en 2001 apporte de ce point de vue beaucoup. Le tableau que dresse Pierre Mauroy de ces trois années est précis et complet. Il défend la thèse qu’il n’y aurait pas eu de politique de « rigueur » possible – donc un exercice du pouvoir dans la durée – s’il n’y avait pas eu les réformes importantes de la première année. Cela peut s’entendre. Mais les pages sur les nationalisations réalisées à 100 % n’emportent pas nécessairement la conviction. Qu’elles aient permis de surmonter la crise de l’appareil productif français – comme l’a argumenté Jean Peyrelevade, alors conseiller de Pierre Mauroy –, est certain. Mais leur coût a pesé fortement sur les finances de l’État alors que ses marges de manœuvre se sont vite réduites. Le débat demeure donc. Le chapitre sur le tournant politique du printemps 1983 restera un témoignage important. L’ancien Premier ministre explique bien la genèse de la politique nouvelle. Il confirme que François Mitterrand a longtemps été hésitant. Certes, selon son habitude, il veillait toujours à se ménager plusieurs issues, si bien qu’aujourd’hui nombre de ses proches expliquent que ses hésitations étaient tactiques et qu’il n’avait jamais envisagé sérieusement une sortie du système monétaire européen. Ce n’est pas ce qu’écrit Pierre Mauroy, notamment dans la fameuse « décade » de mars 1983 qui a suivi les difficiles élections municipales. La force de conviction et – pourquoi ne pas le dire – le courage politique de Pierre Mauroy ont eu alors une influence décisive.
Bien d’autres épisodes mériteraient d’être soulignés – les difficiles restructurations industrielles notamment. Mais, à mon sens, c’est le récit de la crise scolaire de 1983-1984 qui demande particulièrement une lecture attentive. On sait qu’elle amena la démission d’Alain Savary puis celle de Pierre Mauroy en juillet 1984. Celui-ci souligne à juste titre l’aspect novateur (trop ?) du projet négocié par Alain Savary, rapprocher les éléments divisés du système éducatif, réduire la concurrence, faire évoluer la pédagogie. L’opposition des milieux laïques, et d’une importante fraction du Parti socialiste, et celle de la hiérarchie ecclésiastique – le voyage à Rome fut tout à fait révélateur – créèrent les conditions d’une crise politique que la droite attisa. On ne peut s’empêcher de penser que ce fut une belle occasion perdue de mener une réforme de structure de notre système éducatif. Cet épisode illustre à nouveau la manière de gouverner de François Mitterrand. Jamais véritablement engagé dans ce projet – par conviction personnelle, par défiance d’Alain Savary, par réalisme politique ? – il ne l’a pas vraiment soutenu au moment de l’épreuve. L’habilité tactique – l’idée du référendum sur le référendum – donne l’impression que le court terme l’a emporté sur un enjeu de long terme que portaient Alain Savary et Pierre Mauroy.

Premier secrétaire du PS
Revenu à Lille, Pierre Mauroy fut loin de se « retirer » sur ses terres. Même s’il nous fait partager sa passion « lilloise » qu’il avait déjà évoquée dans de précédents livres. Dans ses mémoires, il insiste sur l’alchimie politique qu’il faut mettre en œuvre pour conserver cette ville à gauche. Chaque élection municipale pose des problèmes nouveaux. L’action du maire et du président de la communauté urbaine depuis 1999 a pourtant été vigoureuse et ample. Mais les élections ne se gagnent pas seulement sur un bilan… Les pages – nombreuses par rapport au reste du chapitre – consacrées à la préparation de sa succession avec Martine Aubry sont de ce point de vue instructives. Elles montrent ce qu’est l’échafaudage d’une influence politique, ce qui la construit mais aussi ce qui peut la déconstruire.
Cette intense activité ne l’a pas empêché de prendre d’autres responsabilités nationales et internationales : premier secrétaire du Parti socialiste en 1988 et président de l’Internationale socialiste en 1992, succédant à Willy Brandt. Son action à la tête du parti, près de vingt années après l’occasion ratée de 1969 et la renonciation de 1971, fut difficile. Pierre Mauroy marque bien l’ambiguïté de 1988 : la victoire était le fruit d’un compromis idéologique. En même temps il récuse ce que fut « l’ouverture ». Si « quelque chose n’allait pas », que fit le Parti socialiste, pour y remédier ? Pierre Mauroy, en fait, fut confronté à une crise de majorité. L’éclatement du courant mitterrandiste déchiré entre Lionel Jospin et Laurent Fabius, qui fit du nouveau premier secrétaire l’élu d’une coalition menée par Lionel Jospin, en opposition à la préférence de François Mitterrand, qui aurait souhaité l’élection de Laurent Fabius, a contrarié sa volonté de mener une adaptation idéologique du socialisme français après l’écroulement du mur de Berlin. Elle était tout à fait justifiée. Mais la crise du Parti socialiste qu’emporta le congrès de Rennes en mars 1990 occulta le congrès de L’Arche l’année suivante, qui a pourtant tenté de renouveler la problématique socialiste. Conscient de cette situation, ne bénéficiant plus du soutien réel de François Mitterrand, Pierre Mauroy prépara son départ en tentant d’établir un compromis donnant satisfaction aux principales personnalités du parti, Laurent Fabius, à qui il proposa sa succession, et Michel Rocard qu’il installa dans la position de « candidat naturel ». Las ! La sévère défaite électorale de 1993 ruina cet édifice fragile et fit entrer les socialistes dans une spirale de divisions destructrices. Pierre Mauroy a mal vécu le congrès de Liévin (1994) où il vit un « alliage imprévu d’idéologie et de démagogie ». Persuadé que Jacques Delors, qui « peut surprendre dans l’exécution » écrit-il, ne se présenterait pas, malgré la suggestion de François Mitterrand pour sa propre candidature, il apporta son soutien précoce à Lionel Jospin dont il pensait qu’il avait l’envergure pour faire retrouver au socialisme « son droit à l’avenir ».

L’internationale socialiste
Huit ans président de l’Internationale socialiste jusqu’au congrès de Paris en 1999, Pierre Mauroy a connu plus de bonheur. Il a poursuivi l’œuvre de W. Brandt pour ouvrir l’IS au monde. Il est vrai que l’Internationale est par excellence une institution de compromis… Mais, dans la vie internationale comme dans la vie nationale, Pierre Mauroy a su faire preuve de détermination quand la nécessité l’y obligeait. Et, là, elle a pris les traits de Tony Blair, chantre d’une « troisième voie », qui voulait contourner l’Internationale pour bâtir une nouvelle organisation transatlantique avec les démocrates américains. La contre-offensive idéologique et politique menée par le président de l’Internationale fut un succès. Cet épisode détaillé dans l’avant dernier chapitre finalement illustre bien le caractère de Pierre Mauroy, près des réalités, connaisseur des rapports de force mais intransigeant sur les principes essentiels. La réflexion finale qui clôt le livre sur les années 1995-2002 montre que Pierre Mauroy demeure un combattant du socialisme, préoccupé de sauver une tradition et de préparer l’avenir.
Alain Bergounioux

(1) François Mitterrand. Les années du changement 1981-1984, Serge Berstein, Pierre Milza et Jean-Louis Bianco (dir.), Perrin, 2001, 350 p. Cf. L’OURS n° 309.
 

 
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