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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux/Chanial L'OURS n° 394 janvier 2010
POUR UN SOCIALISME DECENT
par Alain Bergounioux

Retour aux sources d'une école de pensée qui a voulu donner avant tout au socialisme un fondement éthique.

A propos de Philippe Chanial, La délicate essence du socialisme. L’association, l’individu et la République, Le Bord de l’Eau, 2009, 284 p, 22 €


La crise d’identité de la social-démocratie amène une réflexion à frais nouveaux sur ce que sont les fondements du socialisme démocratique. Un économisme dominant, qu’il soit d’origine marxiste ou causé par la prédominance d’une culture gestionnaire laisse dépourvu beaucoup d’esprits lorsque les politiques économiques et sociales connaissent des difficultés. Le débat tend alors à se limiter de savoir si le socialisme ne s’est pas trop compromis avec le libéralisme économique. La crise présente du capitalisme remet certes au premier plan la critique économique que les socialistes ont fait du capitalisme. Mais chacun sait bien quelle n’entraîne pas le retour à une économie administrée et qu’il faudra définir de nouveaux équilibres entre le marché et l’État, le capital et le travail, la compétition et la solidarité.

Le principe de l’association
Comment trouver un guide dans cette tâche ? Pour (re)définir des principes de jugement, il est utile (et précieux) de revisiter toute une tradition du socialisme français qui a défendu le primat d’un engagement éthique fondant la vision d’une société éloignée du libéralisme comme de l’étatisme, bâtie sur le principe de l’association. C’est ce que fait Philippe Chanial dans ce livre qui reprend les travaux qu’il a consacrés déjà à Benoît Malon et à Eugène Fournière et les élargit en une synthèse d’ensemble. Ces socialistes, en effet, ont été souvent placés dans une « case », celle de l’idéalisme et du réformisme, par la tradition marxiste influente dès avant 1914 et dominante pendant de longues décennies après la guerre. Jean Jaurès, à la pensée chatoyante et complexe, compte tenu de son rôle historique, y a échappé, mais non sans débats d’interprétation sur le fond de sa pensée.

Le livre permet de donner toute sa portée à une école de pensée qui a voulu donner au socialisme avant tout un fondement éthique. Cette pensée s’est construite directement contre l’utilitarisme et sa morale de l’intérêt. Elle est pour cela tributaire des œuvres des premiers théoriciens socialistes, Saint-Simon et Fourier évidemment, et encore plus Proudhon, auquel l’auteur accorde à juste titre une large place – son anarchisme ne doit pas faire oublier tous les emprunts faits par les socialistes non-marxistes et par les syndicalistes. Ce sont les forces morales qui font l’histoire. Elles s’incarnent dans la vie sociale qui enveloppe les individus qui se construisent par et dans des relations sociales. Le matérialisme historique est rejeté par cette tradition socialiste qu’a largement partagée Jaurès. L’association est alors la forme que doit prendre l’engagement socialiste. Elle repose sur l’idée de justice – le grand principe proudhonien. L’individu est alors, pour reprendre une formule de Jaurès, la finalité du socialisme, mais un individu libéré de toutes les aliénations, qui ne peut se réaliser pleinement qu’en s’élargissant et en se transcendant.

L’association est alors la politique qui correspond à cette conception morale. Certes, les socialistes n’ont pas eu le monopole de ce principe. Il y a eu toute une conception républicaine. La loi de 1901 en témoigne. Mais Benoît Malon comme Jaurès concevaient l’association comme la base d’une réorganisation de la société. Le rôle de l’État, la révolution faite, n’est pas de prendre en charge l’économie et la société, mais de permettre aux travailleurs de se regrouper dans des associations de production regroupées dans des métiers et coordonnés par un Conseil national. La propriété collective des outils de production devait se doubler de la constitution d’une « propriété sociale », anticipation de la protection sociale moderne.

Cette pensée s’est appuyée sur la sociologie naissante, celle d’Auguste Comte et de ses disciples, puis celle d’Émile Durkheim à la fin du siècle qui a fait de la société une réalité première constituant le cadre où les individus se réalisent en s’associant entre eux. Cette conception du socialisme offre des points communs avec la doctrine solidariste républicaine. Aussi, pour cette école de pensée, la République de citoyens ne doit faire qu’une avec la République des travailleurs. On reconnaît là toute la thématique de Jaurès qu’il contribua fortement à imposer au socialisme français. Ce qui n’était pas évident, quand on considère ce qu’étaient les positions des socialistes guesdistes et des syndicalistes révolutionnaires qui condamnaient, avec des perspectives différentes, le parlementarisme républicain. Paul Lafargue indiquait que la liberté individuelle était « une blague bourgeoise ! » À opposer à la formule de Jaurès : « Le socialisme est l’individualisme logique et complet ». Philippe Chanial a raison de parler de la recherche d’un libéralisme différent de l’utilitarisme qui a structuré lui l’économie politique libérale, un libéralisme capable de libéralité, fondé sur le don (et le contre don). Cela n’étonnera venant du secrétaire de la revue du MAUSS que l’auteur est par ailleurs.

Redéfinir le socialisme
Il ne faut pas évidemment chercher dans ce livre des recettes pour aujourd’hui. Les penseurs étudiés, tout en voulant privilégier la réalité des pratiques sociales, sont demeurés souvent au niveau des principes et des idées générales. Mais dans la période où nous sommes, le socialisme ne se définissant plus comme un mode de production particulier, il est important de revenir à la philosophie politique pour situer ce que doivent être nos choix politiques. La critique morale des faiblesses et des limites du marché peut redonner le sens qui a manqué dans les dernières décennies à la social-démocratie.
Alain Bergounioux
 

 
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