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Vergnon/Sirinelli L'OURS 412
L’HISTOIRE EN PERIL ?,
par Gille Vergnon

A propos de Jean-François Sirinelli, L’Histoire est-elle encore française ?, CNRS Editions, 2011, 60 p, 4 €

Article paru dans L’OURS, n°412 (novembre 2011), p 1.


Il n’est pas toujours nécessaire de noircir des centaines de pages pour ouvrir une « grande querelle », ou poser, comme c’est le cas ici, les termes d’un débat vital pour l’histoire comme discipline, mais aussi pour ceux qui la pratiquent, l’enseignent ou, plus simplement, l’apprécient. C’est ce que montre Jean-François Sirinelli, qu’on ne présente plus, et qui développe dans cet opuscule des analyses déjà publiées en janvier 2010 dans la revue de Pierre Nora, Le Débat.

Le directeur du Centre d’histoire de Sciences Po, « sonne le tocsin » pour reprendre ses propres termes, à propos de l’avenir de l’école historique française. Celle-ci est confrontée à trois périls majeurs qui menacent l’ensemble de l’« écosystème » des historiens français.

D’abord le « déphasage progressif » avec une production historique qui, à l’échelle planétaire, parle la langue de Steve Jobs, se détourne d’une historiographie francophone, faute de pouvoir la lire et l’entendre dans le texte et, par corrélation ou voie de conséquence, provincialise l’histoire de France elle-même. Deux coups de sonde rendent compte de ce glissement : Rome 1955, Xe congrès mondial des sciences historiques où « l’école historique française brille de mille feux » ; Sidney 2005, XXe congrès où la trentaine d’historiens français présents ne trouve plus guère d’audience.

Le deuxième péril trouve son origine dans notre pays, comme le troisième d’ailleurs. La nouvelle fièvre de « l’évaluation » impulsée par le ministère de l’Enseignement supérieur entend classer les enseignants-chercheurs, professeurs et maîtres de conférence, selon des critères purement quantitatifs et bibliométriques. Le livre, débouché traditionnel de la recherche historique, cède le pas, comme dans ces « sciences dures », qui fascinent d’autant qu’on les méconnaît, devant l’article de revue, et ce dernier est moins évalué selon son contenu et son apport que selon le classement de la revue qui l’accueille. Cela aboutit à cette situation absurde où l’emballage prime sur le produit, où le « mauvais » classement d’une revue (fondé sur des critères hautement contestables, quand ce n’est pas uniquement sur sa notoriété ou son lieu de publication) renvoie du même coup au néant l’article publié dans ses colonnes, voire son auteur. Pis encore, le recours à la bibliométrie classe un chercheur selon le nombre de ses publications, quand ce n’est pas sur le buzz émis sur la toile, en inventoriant le nombre d’occurrences enregistré par les moteurs de recherche. À ce jeu, rappelle l’auteur, un Robert Faurisson l’emporte aisément sur les vrais spécialistes du génocide…

Enfin, la réduction drastique du nombre de postes offerts dans l’enseignement supérieur écarte de celui-ci des centaines de jeunes talents, souvent privés simultanément de tout débouché éditorial pour leur thèse par la contraction du marché de l’édition.

Un sombre tableau
L’avenir est donc particulièrement sombre, d’autant que l’on peut noircir encore ce tableau, en rappelant l’état désastreux de l’enseignement de l’histoire dans le secondaire, où se conjuguent suppression de son enseignement obligatoire en terminale S, suppression de l’année de stage des nouveaux professeurs et désastreux nouveaux programmes qui enferment le professeur dans un carcan « thématique » qui n’a rien d’innocent.

Jean-François Sirinelli n’en sonne pas pour autant le glas de l’école historique française. C’est encore, dit-il, le temps du tocsin, de l’alarme qui annonce le péril pour mieux le conjurer. Certes… Reste que les pistes qu’il propose, pour nécessaires qu’elles soient, apparaissent en-deçà des menaces énumérées. On ne peut qu’approuver le renforcement des « structures de sociabilité » (associations de spécialistes, équipes de recherche) qui structurent la corporation historienne, pour y intégrer les jeunes générations de chercheurs, avec ou (surtout) sans poste à l’Université. Il est également souhaitable d’encourager le bilinguisme des chercheurs, déjà souvent exigé dans les dossiers de recrutement. Mais on ne pourra faire l’économie d’un débat d’ensemble ni de décisions qui appartiennent, au moins pour partie, à la sphère du politique.

C’est le grand mérite de ce petit livre d’ouvrir un débat important, et de placer chaque personne ou institution concernée devant ses responsabilités.

Gilles Vergnon
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