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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Barboni/Godmer L'OURS n°393
« Miroir, mon beau miroir » :
des élus régionaux à l’image de la société ?


par THIERRY BARBONI

à propos de Laurent Godmer, Des élus régionaux à l’image des électeurs ? L’impératif représentatif en Allemagne, en Espagne et en France, L’Harmattan 2009 238 p 22 e

article paru dans L’OURS n°393, décembre 2009, p. 3

Alors que les élections régionales approchent, Laurent Godmer délivre à quelques mois de cette échéance un utile panorama de ces élites trop méconnues que sont les élus régionaux.

À cet égard, le premier mérite de son ouvrage est de présenter une synthèse des évolutions sociologiques du personnel politique régional. Il comble, de ce point de vue, un véritable manque et propose une grille de lecture éclairante sur les bouleversements qui affectent la représentation politique. Son souci de mettre en perspective le cas français avec ceux de plusieurs pays européens (essentiellement Allemagne et Espagne mais également Angleterre et Italie) lui permet, en outre, d’offrir les principales clés d’interprétation des évolutions en cours, donnant au lecteur la capacité d’apprécier à leur juste valeur les changements au sein des régions françaises.

Quelles ressources pour être élu ?
L’idée directrice de l’ouvrage est d’envisager les « transformations de la représentation politique ouest-européenne » en étudiant les « ressources requises pour être élu régional ». Selon l’auteur, la sélection des élites régionales est en effet déterminée par un impératif de représentation, « c’est-à-dire un référentiel structurant le logiciel de sélection des élites politiques fondé sur une logique mimétique de représentation elle-même associée à une forte homogénéisation socioculturelle des élus, ces deux axes structurants participant de la professionnalisation politique contemporaine ». Cet impératif représentatif, chacun en sent bien désormais les exigences puisque plus aucune élection n’est évoquée sans référence à l’âge, au genre, voire à l’appartenance « ethnique » des candidats. En d’autres termes, il s’agit de donner corps à la vieille idée d’une représentation-miroir des sociétés contemporaines, grâce à une représentation « morphologique » ou « photographique » : les élus sont à l’image du pays. C’est à la mesure de ce phénomène que s’attelle l’auteur dans la deuxième partie de l’ouvrage, non sans avoir au préalable évoqué les mutations des lois d’airain de la sélection des élus régionaux.

Des élus toujours plus diplômés
En effet, l’impératif représentatif tel qu’il s’est imposé durant les vingt dernières années a conduit à valoriser des ressources politiques comme l’âge ou le genre, la place dans l’appareil partisan, les réseaux au détriment de ressources socioculturelles traditionnelles (l’appartenance à une catégorie socio-professionnelle). Cette mutation du capital d’éligibilité se manifeste par une constante marginalisation voire une disparition des ouvriers ou des employés, la majorité des chambres régionales n’en comptant plus qu’une petite poignée, quand elles n’en sont pas totalement dépourvues. Mais cette élimination ne profite pas, et c’est un des points importants de l’ouvrage, aux élites politiques traditionnelles. Le temps du notable en politique semble en effet toucher à sa fin en même temps que les capitaux économiques et notabiliaires perdent de leur poids dans la compétition politique. La professionnalisation politique, dont on mesure ici un des premiers effets, conduit à dévaloriser les métiers qui donnaient jusque-là accès « de droit » à la représentation : pour le dire schématiquement, le manager ou le consultant remplace les professions libérales (avocats, médecins…) et l’entrepreneur. Ce basculement illustre, c’est certainement le point central de l’ouvrage, ce que Laurent Godmer appelle « l’épistémocratisation » de la sélection des élus régionaux.

Avec ce néologisme imprononçable, il entend montrer combien la compétition politique est désormais déterminée avant tout par la « domination du savoir » et donc par « ceux qui acquièrent un droit à jouer particulier », autrement dit le diplôme. L’analyse est édifiante : les ressources intellectuelles sont devenues un atout considérable dans la sélection des élites politiques, à tel point que, par exemple, 22,5 % des députés de Saxe ont un titre de docteur. Cette « intellectualisation » de la compétition politique favorise alors inévitablement les fonctionnaires (50 % des élus régionaux français entre 2004 et 2010), tout comme elle bénéficie aux diplômés du supérieur.

Autre point fort de l’ouvrage, Laurent Godmer démontre que l’« intellectualisation » et la professionnalisation de la compétition politique se combinent pour générer une « fonctionnarisation interne au champ politique », c’est-à-dire qu’elles favorisent l’élection d’individus disposant de diplômes supérieurs et construisant leur parcours professionnel à l’intérieur du champ politique. Ces « professionnels » – au sens propre du terme – de la politique accentuent ainsi un mouvement de rétraction du champ politique sur lui-même, ce qui s’opère alors immanquablement au détriment des moins (cf. les ouvriers) ou « mal » (les notables) dotés socialement.

Des élus à l’image de la France ?
Cette « fonctionnarisation de la sélection des élus régionaux » constitue la trame à partir de laquelle se dessine le nouvel impératif représentatif. Laurent Godmer évoque pour illustrer son propos une « transformation physionomique » de la représentation politique, selon laquelle les minorités hier invisibles doivent désormais devenir visibles. Âge, genre et appartenance à la « diversité » sont de nouvelles ressources politiques que ceux qui s’en prévalent peuvent désormais utilement mettre en avant. On se souvient de la « révolte » des socialistes trentas, mâles, blancs… et sacrifiés.

L’auteur montre ce que cette valorisation de caractéristiques qui pouvaient avant constituer des stigmates doit à « l’épistémocratisation » et à la professionnalisation de l’activité politique. Le cas des plus jeunes accédant à l’élection est extrêmement révélateur : non seulement très tôt investis dans les organisations de jeunes des grands partis, ils sont aussi fortement dotés en diplômes, ce qui compense en quelques sortes leur inexpérience électorale.
Il apparaît ainsi clairement au fil du livre que « la diversification du profil des élus […] se fait à l’intérieur de populations de candidats ayant subi une forte homogénéisation socio-culturelle ». De ce point de vue, il faut noter le rôle moteur des partis de gauche mais également les effets du mimétisme entre partis : rapidement, partis de gauche comme de droite ne voudront plus se laisser distancer dans cette course à la représentativité, au plus grand bénéfice des minorités désormais bien visibles.

Il semble enfin, que la France, malgré quelques retards, se comporte de manière tout à fait honorable en la matière par rapport à ses voisins. Si le mouvement a été assez long à se dessiner, les élections de 2004 apparaissent bien comme une étape de normalisation hexagonale vis-à-vis des autres pays européens. Il faut noter cependant que la loi sur la parité a joué un rôle de catalyseur décisif et qu’elle est un élément central dans la mise en place de cette nouvelle représentativité des élus régionaux.

En définitive, la lecture de l’ouvrage est très aisée (une fois familiarisé avec le vocabulaire politiste, mais les termes et notions sont clairement explicités) ceci alors que la perspective comparative pouvait laisser craindre l’inverse : beaucoup de chiffres certes, mais également de nombreux exemples qui équilibrent avantageusement l’analyse. On ne peut s’empêcher malgré tout d’évoquer un point non abordé par l’auteur : le poids du mode de scrutin dans la mise en place de cette modernisation de la représentation. En effet, la proportionnelle, l’ouvrage le montre, a permis la mise en place de critères de sélection nouveaux. En aurait-il été autrement avec un scrutin uninominal majoritaire ? La question mérite d’autant plus d’être posée que la perspective de voir les conseillers territoriaux élus selon un scrutin mixte (80 % majoritaire et 20 % proportionnel sur un tour) risque de mettre à mal l’évolution en cours. Ce ne sera certes pas avant 2014. D’ici-là, les nouveaux profils des élites régionales auront-ils eu le temps de s’institutionnaliser ? Dans le cas contraire, la France risquerait alors bien de connaître un « bond en arrière représentatif » qui mettrait fin à deux décennies d’avancées positives en la matière !
Thierry Barboni
 

 
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