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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Florys Castan Vicente, M-T Eyquem, par S. Liatard
LES PARADOXES DE MARIE-THERESE EYQUEM
par Séverine LIATARD

à propos de Florys Castan Vicente, Marie-Thérèse Eyquem . Du sport à la politique, parcours d’une féministe, L’Ours, 2009, 248 p, 18 €

Article paru dans L’OURS, mensuel de critique littéraire culturelle artistique n°396, mars 2010, page 6

Qui se souvient de Marie-Thérèse Eyquem, de son rôle au sein du Parti socialiste
et de son engagement dans le monde sportif féminin ?


Née en 1913, décédée en 1978, issue d’une famille modeste, Marie-Thérèse Eyquem va se hisser au sommet de milieux aussi distincts que la politique ou le sport.

En politique, elle s’engage pour l’égalité des sexes au début des années 1960. Elle prend la direction du Mouvement démocratique féminin (MDF) qui affiche rapidement ses affinités socialistes. À ses côtés, l’écrivaine et militante socialiste, Colette Audry, l’une des fondatrices du Planning familial, Évelyne Sullerot auxquelles viendra se joindre un peu plus tard, la future ministre déléguée des Droits de la femme, Yvette Roudy, qui reconnaît avoir été formée par Marie-Thérèse Eyquem.

Féministe et mitterrandiste
Amie, collaboratrice et fidèle de François Mitterrand qu’elle a sans doute rencontré à la fin des années 1950, Marie-Thérèse Eyquem adhère à la CIR puis à la FGDS. En 1966, elle est nommée ministre de la Promotion féminine dans le contre gouvernement proposée par François Mitterrand suite à la présidentielle de 1965.

Nul doute que c’est elle et le collectif du MDF qui incitent celui qui veut devenir le leader de l’union de la gauche à prendre position en faveur de la contraception et plus généralement à s’intéresser à la promotion des femmes dans la société française de l’époque.

Au sein du nouveau PS, elle devient logi-quement la responsable, en 1971, du Comité de coordination des problèmes féminins. Nombre de mesures défendues par le MDF depuis une dizaine d’années seront ainsi entérinées : le droit à la contraception et l’avortement, la multiplication des crèches, l’égalité des salaires, la mixité de l’enseignement… Autant de combats pour lesquels il s’agit à l’époque, et aujourd’hui encore, de lutter. La situation des militantes socialistes et la manière dont sont considérés les problèmes dits féminins ne progressent d’ailleurs que très lentement au sein de l’appareil. De ce fait, Marie-Thérèse Eyquem se résout avec Yvette Roudy à défendre le principe des quotas pour que le parti présente davantage de femmes aux élections et pour que celles-ci siègent dans ses instances dirigeantes. Marie-Thérèse Eyquem devient d’ailleurs, en 1975, la première femme secrétaire nationale du PS avec Edith Cresson.

Dans sa recherche biographique, Florys Castan Vicente retrace ainsi le parcours atypique de cette militante du sport féminin, catholique, femme politique et féministe et interroge les relations entre ces multiples engagements qui s’entrecroisent, se succèdent et évoluent au cours du temps. Elle décrypte les liens entre la dimension chronologique d’une vie et sa complexité problématique pour échafauder un itinéraire, une existence, la constitution d’une identité et ses articulations avec le contexte social, politique et culturel.

Sport féminin et féminisme
Florys Castan Vicente pointe aussi les ambiguïtés de cette personnalité en étudiant notamment les processus de construction de ses engagements et le caractère paradoxal de certaines de ses positions. En août 1940, Marie-Thérèse Eyquem devient directrice des sports féminins et accepte de ce fait d’être une fonctionnaire du régime. Alors que le sport fait partie intégrante du modèle de la femme de Vichy (un corps sain et robuste), son discours sur les femmes est double. Ses écrits non officiels s’attachent à montrer les vertus émancipatrices du sport tout en prônant la féminité des sportives et la spécificité du sport féminin. Dernier élément qui s’accorde parfaitement, selon l’auteure, avec l’idéologie du régime mais aussi avec un discours féministe différentialiste. Après cette période de l’Occupation sur laquelle Marie-Thérèse Eyquem reste discrète, elle continue d’adopter certains préjugés misogynes tout en en contestant d’autres. Dans sa biographie de Pierre de Coubertin qui paraît en 1966, elle voue par exemple une admiration sans limite à l’homme et le dépeint comme un féministe qui s’ignore alors qu’il a toujours été extrêmement critique à l’égard du sport féminin.

Dans son chapitre quatre, intitulé « sportive, catholique, féministe et homosexuelle », la jeune chercheuse analyse les relations complexes entre lutte pour le sport féminin et féminisme et la manière dont l’homosexualité est rejetée dans ce monde du sport à travers le cas de Marie-Thérèse Eyquem mais aussi d’autres sportives de haut niveau appartenant à la même génération. Dans le milieu du sport comme ailleurs, l’homosexualité féminine dérange. Marie-Thérèse Eyquem cherche plutôt à s’en cacher tout en adoptant une allure assez masculine : une femme aux cheveux courts, fumant le cigare et la pipe, « un peu comme les garçonnes des années 1920 ». Il est d’ailleurs probable que Marie-Thérèse Eyquem se soit insérée dans les milieux culturels parisiens par le biais d’un réseau homosexuel. Parce qu’en plus de ses fonctions dans les mondes du sport et de la politique, elle écrit des essais dramatiques et des romans sportifs.

Dans ce travail biographique dont la qualité a déjà été saluée puisqu’il a obtenu le prix Jean Maitron 2008, Florys Castan Vicente fait ainsi ressurgir la figure oubliée d’une pionnière dont l’étude du parcours contribue à enrichir l’histoire des femmes et du féminisme et les stratégies adoptées par celles-ci pour accéder aux sphères du pouvoir dont elles sont couramment marginalisées.

Séverine Liatard
 

 
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