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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
BERGOUNIOUX/ANDLER-Prochasson/LOURS396
LA REGENERATION VERSION ANDLER
Par Alain BERGOUNIOUX

À propos de :
Charles Andler, La civilisation socialiste, Présentation de Christophe Prochasson, Le Bord de l’Eau Bibliothèque Républicaine, 2010, 106 p, 22 €

Article paru dans L’OURS, mensuel de critique littéraire, culturelle, artistique, n°396, mars 2010, p. 6.


« Un texte aussi étrange que profond » indique la quatrième de couverture de cette réédition de La Civilisation socialiste. Il est vrai que la lecture de ce texte nous fait nous réinterroger sur la pensée aujourd’hui largement oubliée – hormis pour une poignée d’historiens – de Charles Andler (1866-1933).

Charles Andler est un socialiste de la génération de l’Affaire Dreyfus, que l’on range dans la catégorie du « socialisme moral » et, par ailleurs, il est connu pour ses travaux pionniers sur Nietzsche – sans que l’on s’interroge trop sur le lien entre ces deux traits. L’oubli dans lequel il est tombé tient sans doute au conflit qu’il eut avec Jaurès, en 1913, critiquant la trop grande confiance que plaçait le leader français dans les socialistes allemands, et à son éloignement à l’égard des idées socialistes après la guerre. La tradition socialiste ne l’a donc guère reconnu parmi les siens.

La longue et savante préface de Christophe Prochasson permet de resituer Charles Andler dans son temps et de cerner son originalité. Universitaire reconnu, il a eu une carrière académique brillante, normalien, agrégé, professeur à la Sorbonne en 1908, au Collège de France en 1926. Mais sa vocation première, la philosophie, a été contrariée. Recalé à l’agrégation de philosophie par une querelle d’écoles, Andler a embrassé les études germaniques. Mal à l’aise pourtant dans le milieu académique, il a toujours occupé une position singulière qui ne tient sans doute pas qu’à cet échec initial, car il a marqué très tôt ses sympathies pour les idées socialistes et anarchistes. Avec son ami Lucien Herr, l’influent bibliothécaire de l’École normale supérieure, il a adhéré à la Fédération des travailleurs socialistes de France et a accompagné la scission allemaniste dans le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.

Mais Charles Andler est toujours demeuré à l’écart de la vie partisane proprement dite. Simple adhérent, il a été avant tout un intellectuel. Comme nombre de ses amis, l’Affaire Dreyfus a été un moment où a pu se concilier l’engagement moral et l’action politique. Après quelques années de combat, sans suivre les découragements d’un Charles Péguy, il n’a pas ménagé ses critiques au socialisme partisan, et à Jaurès lui-même.

Le socialisme de Charles Andler
Trois dimensions ressortent de ses articles et de ses conférences. Sa critique radicale du marxisme, d’abord, accusé d’avoir sclérosé la pensée socialiste, mis en cause pour son déterminisme, l’a coupé de l’orthodoxie dominante de la jeune SFIO. Cela ne l’a pas entraîné pour autant vers un réformisme républicain. Car Charles Andler a marqué également ses distances avec la démocratie qui lui paraissait n’être pas le cadre qui permettrait la mise en œuvre réelle du socialisme. Influencé par les idées libertaires, peu confiant dans le rôle de l’État – ce qui l’amène à prendre ses distances avec le « socialisme » républicain et à se montrer fort critique vis-à-vis de la social-démocratie allemande – il a conçu le socialisme essentiellement comme une régénération complète de l’individu. Ce dernier aspect peut expliquer que pour lui la pensée de Nietzsche – pourtant fort éloignée des idées socialistes – pouvait se concilier avec une révolution morale.

Ces données, présentées clairement dans la préface, offrent de bonnes clefs de lecture, pour le texte de la conférence qui suit. C’est bien une théorie de la « civilisation » qui inspire Charles Andler. Dans l’évolution historique de l’humanité, il donne la priorité au facteur politique et culturel. Le capitalisme aurait pris modèle sur l’État et non l’inverse. Le marxisme a certes vu le caractère offensif du libéralisme capitaliste amenant une volonté de marchandisation de l’économie et de la société. Mais l’État s’est fait démocratie et a amené le capitalisme à concéder des améliorations sociales. Pour Charles Andler, la démocratie « évidera » le capitalisme comme celui-ci a usé l’ancien État monarchique. Mais la démocratie a partie liée avec l’individualisme. Ce qui entraîne une dialectique négative entre des tendances à la « dissolution de la société » et un régime parlementaire qui dessaisit les individus de leurs responsabilités. Le socialisme ne peut donc pas s’inscrire dans la continuité de la démocratie – et, là, Charles Andler se sépare de la vision jaurésienne qui entendait fondre la République et le socialisme. Le socialisme devait être un « sentiment vivant de la solidarité » reposant essentiellement sur une valorisation et une morale du travail. Il supposait avant tout une révolution morale qui touche tous les individus.

Il ne faut pas attendre de Charles Andler des préconisations concrètes. Il ne s’exprime pas sur les modalités pratiques de cette révolution. On retrouve seulement des éléments qui s’inscrivent dans une tradition proudhonienne, dessinant une alliance des producteurs, se prêtant un appui mutuel par un vaste réseau de crédit mutuel et d’assurances. Mais, dessiner la société future n’était pas là le but de Charles Andler qui entendait surtout marquer que l’idée socialiste étant différente dans son essence de l’idée démocratique, sous sa forme républicaine ou communiste. Ce texte, qui offre nombre d’aperçus stimulants, compose un alliage effectivement « étrange » entre une réelle préoccupation humaniste et une vision finalement élitiste. Nietzsche aurait sans doute été étonné de voir sa pensée nourrir une espérance socialiste. Mais vouloir donner à chaque individu « la moralité des vrais artistes et des vrais savants » composait un projet peut-être pas si éloigné de la moralité du « surhomme ». Le risque évidemment étant que ce haut idéal demeure à l’état d’espérance et n’arrive à finalement nourrir un profond pessimisme politique et social faute de réalisations à la hauteur des évolutions. N’est-ce pas là ce qui est advenu à la pensée de Charles Andler lui-même ?

Alain Bergounioux
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