ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Jules Grandjouan en haut de l'affiche
JULES GRANDJOUAN EN HAUT DE L’AFFICHE
par Frédéric Cépède

A propos de
Jules Grandjouan
Créateur de l’affiche politique illustrée en France

JOËL MORIS, MARIE HELENE JOUZEAU, FABIENNE DUMONT DIR.
Somogy éditions d’art 2001 288 p 30,50 e


Les affiches illustrées ont accompagné l’histoire du vingtième siècle, créant un langage propre, plus direct que celui des mots, plus mobilisateur, voire plus manipulateur. Œuvres d’art ou œuvres de propagande ? Le catalogue de l’exposition Grandjouan, qui ne se limite pas aux créations de ce grand affichiste et illustrateur, invite également à une réflexion sur le dessin de presse, d’hier à aujourd’hui.

L’exposition " Jules Grandjouan " qui vient de se tenir à la Maison du livre et de l’affiche à Chaumont, au-delà du parcours de l’œuvre d’un artiste, l’inscrit dans son époque et face à ses contemporains. Le superbe catalogue qui l’accompagne poursuit dans cette voie : quelque 300 illustrations en couleur appuient de solides études d’historiens (1). La préface de Jacques Julliard interroge la notion d’engagement des artistes, avant que Fabienne Dumont, biographe de Jules Grandjouan et responsable du fonds d’affiches du Musée d’histoire contemporaine-BDIC, ne brosse le portrait et le parcours de cet artiste " révolté " et engagé, de l’anarchisme au communisme.

un artiste engagé
Jules Grandjouan (1875-1968), nantais d’origine où il passe toute sa jeunesse, part faire son droit à Paris, et entame dans la capitale une carrière de clerc de notaire avant de revenir exercer à Nantes. Parallèlement, il dessine depuis des années – il a publié des dessins dans L’Ouest républicain et au Clou. En 1897, avec des camarades de lycée, il crée la Revue nantaise. En 1898, paraît son premier recueil de lithographies, Nantes la grise. Le Petit Phare lui demande alors de " couvrir " le procès Dreyfus à Rennes : lancé dans le monde des caricaturistes, Grandjouan abandonne le notariat et rejoint Paris. En 1900, il devient un collaborateur apprécié du Rire, et l’année suivante de l’Assiette au beurre, " rivalisant de talent avec des artistes aussi célèbres que Caran d’Ache, Ricardo Flores, Juan Gris, Delannoy, Kupka, Naudin, Steinlen, Van Dongen… " Il donnera plus de 1000 dessins à cet hebdomadaire satirique. Il met en scène les humbles, croque les capitalistes en autant d’hommes obèses, avachis, cigare aux lèvres. Il s’en prend à la religion, aux coloniaux, aux marchands de canon, à l’armée, à la justice , à la droite, aux radicaux… sans oublier les " socialistes tièdes ". Briand, nantais comme lui, l’ancien propagandiste de la grève générale, le traître à la révolution, est une de ses têtes de turc. Jean Jaurès est également sous son pinceau rageur le héros noir de l’Ascète au beurre, pamphlet lancé par Urbain Gohier en 1903. Le style de Grandjouan d’une réelle virtuosité graphique est direct, brutal, efficace. Il sait manier les symboles (la pieuvre ou le " gros " capitaliste, par exemple), et si le texte reste encore présent l’image passe en force.
En 1908, l’affiche qu’il réalise après le drame de Villeneuve-Saint-Georges pour l’Union des syndicats du département de la Seine, reprise par la Guerre sociale de Gustave Hervé, marque l’entrée en scène de l’affiche politique illustrée. Comme l’écrit Alain Gervereau, cette image " combine le réalisme terrible d’une répression… avec le symbolisme en identifiant des dirigeants politiques comme Aristide Briand dans les massacreurs. C’est une peinture d’histoire et un dessin de presse. En même temps, elle induit la monumentalité ? Cette image fait entrer le spectateur dans ‘plus grand que lui’ ". Aux silhouettes noires des soldats à cheval qui, du haut de l’affiche (avec au centre de la mêlée, le visage de Briand en col d’hermine) chargent sabre au clair et fusil en main s’oppose le sang rouge des victimes désarmées : Villeneuve-Saint-Georges s’écrit en lettres de sang. Son ami Francisco Ferrer, anarchiste espagnol exécuté en 1909, diffusera cette affiche à Barcelone. Habitué des démêlés avec la police, Grandjouan est une nouvelle fois arrêté pour incitation à la violence lors des manifestations organisées à Nantes pour protester contre l’exécution de Ferrer. En 1911, il est condamné à 18 mois de prison pour ses dessins antimilitaristes parus dans La Voix du peuple. Il choisit l’exil en Allemagne (il rencontrera à cette occasion la danseuse Isadora Duncan, avec laquelle ce père de 4 enfants aura une liaison). Gracié par Poincaré, il ne participe plus alors à la vie politique.
Pendant la Première Guerre mondiale, sa myopie lui évite le front et il est mobilisé dans le service auxiliaire. Analysant les productions de Steinlen et Grandjouan, artistes engagés à l’extrême gauche avant 1914, Joëlle Beurier interroge : " Peut-on rester de gauche dans la Grande guerre ". Elle décèle chez les deux hommes un attachement à la patrie en danger, mais des résistances au " bourrage de crâne " et un engagement plutôt humanitaire, du côté des victimes civiles ; Grandjouan choisit en fait de se taire et dessine peu. Il n’y a donc chez ces artistes ni rupture ni contradiction avec leur production d’avant-guerre.
La grande lueur à l’Est, l’espoir de la révolution mondiale enfin à l’ordre du jour le poussent à rejoindre les rangs du Parti communiste. A partir de 1921, Grandjouan collabore quasi exclusivement à l’Humanité et met son talent au service de la stratégie de propagande de la jeune SFIC. Il voyage en URSS. En 1930 il est élu représentant du Bureau international des peintres révolutionnaires dont il est exclu l’année suivante pour avoir signé avec Panaït Istrati une déclaration jugée antisoviétique. En 1932, " le dessinateur socialiste ", comme il se présente sur sa profession de foi, ne recueille que 87 voix aux élections législatives à Nantes. Il quitte alors la politique. Rupture politique (liée à cet échec, à la déception devant l’évolution de l’URSS, du PC ?), rupture personnelle, ce virage peut être aussi rapproché de l’évolution dans le monde des dessinateurs de presse.

des illustrateurs aux journalistes
Christian Delporte montre bien comment, à la fin des années 1920, les illustrateurs " artistes " de la Belle époque à la Grandjouan cèdent le pas devant les caricaturistes " journalistes " : les Sennep, Dukercy, HP Gassier, Cabrol, Robert Fuzier au Populaire dans les années 30… tiennent désormais la vedette. En ces années, la presse est bouillante, des dizaines de titres dépassent les 4,5 millions d’exemplaires. Les caricaturistes se déchaînent pour faire sourire le lecteur, l’humour est ravageur et les politiques, sous peine de sombrer dans le ridicule, ne peuvent s’y opposer. Ils ne composent pas des œuvres, ils réagissent en quelques traits à l’événement. Leurs descendants ont aujourd’hui pour nom Gébé, Cabu, Willem, Plantu - pour n’évoquer ici que ceux qui confient dans la dernière partie de l’ouvrage leur " dette " à Grandjouan et aux grands ancêtres - mais la presse leur offre moins d’espace. Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo font figure de vestige dans le paysage actuel.
Ce catalogue très riche ouvre donc sur des pistes de réflexion qui dépassent le cas Grandjouan. Comme la contagion des images et des thèmes dans le premier demi-siècle (de la gauche à la droite, certaines affiches montrant des univers proches, et chez les socialistes, le peu d’intérêt ou de goût pour ce support), la propagande (éducation ou persuasion ?), la définition d’un art social, des analyses du milieu de la presse, par exemple. Il peut se feuilleter, à la recherche de l’image qui fait sens ou fait sourire. On se laisse aussi absorber dans sa lecture. Reste que ce catalogue ne peut rendre compte de ce qui fait réellement une affiche : sa dimension. Aussi, il faut se précipiter voir cette exposition (2).
Frédéric Cépède

(1) Pour n’oublier personne de cette superbe réalisation collective ajoutons à ceux cités : Christophe Prochasson, Bertrand Tillier, Michel Dixmier, Raymond Bachollet, Philippe Buton, Jean-Louis Bodinier, et les témoignages de Jean-Marie Grandjouan, Néomie Koechlin, Bernard et Sylvestre Langevin
(2) Cette exposition sera d’avril à juin 2002 au Musée d’Histoire contemporaine-BDIC (Invalides), à Paris, puis en 2003, Au Château des Ducs de Bretagne, à Nantes.
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris