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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Blum / Avrane / L'OURS 430
Les ouvrières à domicile montrent la voie

par Françoise BLUM

À propos du livre de Colette Avrane, Ouvrières à domicile. Le combat pour un salaire minimum sous la Troisième République, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 300 p, 17 €

Article paru à la une de L’OURS n°430, juillet-août 2013

Ce beau livre a pour objet central « la loi sur le salaire minimum des ouvrières à domicile dans l’industrie du vêtement », du 10 juillet 1915. On s’étonne qu’aucun-e historien-ne ne se soit penché-e sérieusement, avant Colette Avrane, sur une loi importante à plus d’un titre. Elle ne concerne certes que les femmes, s’inscrivant ainsi dans la série des dispositions législatives protectrices des femmes et des enfants. Mais elle est surtout la première loi à instaurer un minimum de salaire, ouvrant ainsi une voie qui conduira à la reconnaissance d’un SMIG. Elle est aussi la première loi à s’intéresser à ce véritable continent noir qu’est le travail à domicile, même si elle fait l’économie de toute définition et ne concerne que certains métiers, alors même qu’il en existe bien d’autres.

Si le cœur de l’ouvrage est la loi, Colette Avrane a mené son travail aussi bien en amont qu’en aval. En amont, elle a su dresser un impressionnant tableau de la condition des ouvrières à domicile, tableau nourri par de multiples enquêtes (dont les plus importantes sont celles de l’Office du travail), mais aussi par les romans et chansons. La misère de ces brodeuses, passementières, dentellières, fleuristes-plumassières est avérée, de même que leur condition de vie déplorable, et elles suscitent la pitié comme le scandale. Elles vivent – ou survivent – dans des logements bien souvent insalubres et trop exigus, avec des salaires qui ne leur permettent qu’à grand-peine de se nourrir, si elles sont seules ou, pire, avec enfants à charge. Elles sont doublement dépendantes tant des patrons que des entrepreneurs qui leur fournissent le travail, entrepreneurs qui sont d’ailleurs, la plupart du temps, des entrepreneuses. Bien des réformateurs, chrétiens sociaux ou francs-maçons, féministes ou philanthropes se sont penchés sur leur triste destin, pour des raisons plus ou moins altruistes : la peur de la contagion via les tissus qu’elles travaillaient a quelquefois joué un rôle dans la sollicitude qu’on leur a témoignée, mais aussi, plus généreusement, le souci de leur misère. Elles ne sont pas toujours femmes puisque des hommes aussi travaillent à domicile, mais ces derniers sont en général mieux payés, y compris pour le même travail.

Les ouvrières à domicile sont victimes d’un double préjugé : celui d’abord, bien ancré et que renforcera au moins provisoirement la crise des années 30, qui considère que la place d’une femme est à son foyer, et celui qui considère que son salaire n’est qu’un salaire d’appoint. En instaurant un minimum de salaire, la loi de 1915 bat en brèche au moins le deuxième de ces préjugés et pose en principe les bases d’une future évolution du regard porté sur le travail des femmes. Toujours est-il qu’en l’absence d’amélioration notable apportée par des solutions palliatives (philanthropie, boycotts organisés par la Ligue sociale d’acheteurs, création de coopératives), quelques personnalités issues de divers bords politiques, tel le catholique Albert de Mun, ou la féministe Gabrielle Duchesne en sont venus à mener campagne pour une solution législative qui aboutit finalement en pleine guerre. La France n’est d’ailleurs pas le premier pays à avoir légiféré et Colette Avrane a aussi le mérite de faire le bilan des autres législations concernant le travail à domicile, inscrivant ainsi le cas français dans une perspective européenne.

En aval, l’auteur fait état en un bilan précis des multiples difficultés d’application de la Loi. Celle-ci sera en effet très mal et très peu appliquée, en raison de dispositifs, tels ces « comités de salaires » qu’elle institue, difficiles à mettre en place. Elle est complétée par une loi de 1928 dont l’application s’étend cette fois aussi aux hommes. Mais ni les lois de 1928 et 1932 sur les allocations familiales et les assurances sociales, ni les réformes du Front populaire ne concernent les travailleuses à domicile. Un décret loi du 1er août 1941, pris par un gouvernement de Vichy dont on sait qu’il voulait les femmes au foyer, modifie les dispositions législatives, dans un sens résolument conservateur, ce qui bien sûr n’étonnera personne. Colette Avrane termine là son étude, laissant à d’autres le soin de poursuivre le travail.

On ne peut que conseiller la lecture de ce livre et ce pour plusieurs raisons. D’une part, c’est un travail très solidement documenté qui reconstitue un véritable puzzle où ont leur place non seulement les ouvrières mais aussi les divers partenaires sociaux qui se sont intéressés à leur sort. À la perspective genrée – le genre du travail, le genre de la loi et le genre du lobbying –, il a le mérite d’ajouter une perspective européenne. Enfin, il nous interroge sur ce qu’est le travail à domicile et, bien sûr, sur les effets pervers qui lui sont inhérents. Et ce, en un temps où le télétravail ne fait que prendre de l’ampleur, bien qu’il concerne majoritairement des hommes, et des hommes plutôt qualifiés et bien payés, et où il nous est de nouveau présenté, depuis quelques années, comme une panacée pour concilier intérêt des enfants et travail de la mère. Même si les temps (et les techniques de communication) ont changé, il est certainement souhaitable de méditer sur ces nouvelles formes de travail, de s’informer sur les expériences historiques qui les ont précédées.
Dans cette information nécessaire, le livre de Colette Avrane, au croisement de l’histoire du genre, de celles du travail et du droit, est une pièce incontournable.

Françoise Blum
 

 
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