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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Girard/Fauconnier 355
École, la copie est sur la table
par Pascal Girard

à propos du livre de Patrick Fauconnier, La fabrique des « meilleurs ». Enquête sur une culture de l’exclusion, Le Seuil 2005 287 p 20 €

Seulement 37% d’une génération accède à l’enseignement supérieur. Sur une génération, 150 000 jeunes (sur 750 000) quittent chaque année le système scolaire sans aucun diplôme. C’est à partir de ce constat d’échec scolaire, qui conduit bien souvent à l’exclusion sociale, que l’auteur mène une réflexion sans concession mais pleine d’empathie avec les victimes du système.

Fort de ces chiffres, Patrick Fauconnier n’hésite pas à remettre en cause nos représentations et à comparer notre système scolaire et social à celui d’autres pays, y compris les si souvent honnis États-Unis. Première accusée de ce gâchis, une des rares institutions qui fasse pourtant consensus : l’école. Au regard de nos voisins, terriblement élitiste, théorique (et ennuyeuse !), méprisant les filières techniques et professionnelles, elle décourage nombre d’élèves dont elle jette « au rebus » une masse considérable, faisant parvenir à l’enseignement supérieur moitié moins de jeunes que la moyenne de l’OCDE ! Et une fois passé le sas vers l’enseignement supérieur, les classes populaires s’entassent majoritairement dans des universités manquant de moyens et souvent synonymes d’échec, tandis que les « gosses de riches » ou les « fils de profs » réussissent dans les filières d’élite financées par les impôts du contribuable… Le trait est peut être forcé, néanmoins l’école se révèle un véritable système de reproduction sociale, ce que ne démentent pas les statistiques. Cela peut paraître d’autant plus inutile que les deux pays ayant un enseignement secondaire sélectif avec des longs horaires (la France et l’Italie) sont en queue de peloton dans les tests internationaux d’aptitudes, loin derrière des Scandinaves peu ou pas sélectifs et considérés comme « laxistes » (la France préférant occulter les résultats quand l’Italie connaît en 2005 un mini-débat à ce sujet). Ce que préconise l’auteur : non pas copier, mais oser s’inspirer des systèmes scandinaves ou encore des États-Unis, dont le secondaire n’est certes pas d’un niveau éblouissant, mais qui selon lui insiste sur la motivation et non la sélection, autorise la découverte d’une vocation plutôt qu’impose une spécialisation précoce et soutient les plus en difficulté par des programmes adaptés. Un système qui envoie finalement en proportion deux fois plus d’élèves vers un enseignement supérieur doté de moyens financiers et humains parfois remarquables.

Pas de deuxième chance !
Facteur aggravant, les exclus de notre système scolaire n’ont guère droit à une seconde chance. L’auteur souligne en effet que certaines initiatives innovantes, les écoles alternatives ou tout simplement la revalorisation de l’enseignement professionnel permettraient de remettre en selle les élèves en situation d’échec dans la voie royale de l’enseignement général ; mais hélas ces dispositifs ne sont guère soutenus, par méconnaissance ou dédain. Et pour tous ces jeunes sans diplôme, mais aussi plus largement les chômeurs et les millions de travailleurs occupant des emplois fragilisés par la conjoncture, l’impératif lui semble être de les doter de qualifications par le biais de la formation professionnelle. Mais alors que le projet de développer la formation tout au long de la vie avait été bien accueilli, la formation continue reste dans les faits surtout l’apanage des plus diplômés – bien que des sommes colossales y soient consacrées – tandis que la « validation des acquis de l’expérience » du gouvernement Jospin, qui permet aux salariés de se « diplômer sur le tas », reste encore trop peu utilisée. Notre auteur attribue ce ratage au manque de considération vis-à-vis de l’intérim, des « petits boulots » et de l’entreprise (la petite en particulier), si partagé au sein de l’Education Nationale et de la classe politique, et qui constituerait un frein à la mise en place de mécanismes de résorption du chômage.
Au total, pour Patrick Fauconnier, la France a fait le choix des dépenses « passives » d’allocations – qui n’ont montré qu’une efficacité relative dans la lutte contre l’exclusion – aux dépens de mesures actives de formation. Il est frappant de constater que ces conceptions rejoignent celles de l’essai décapant de Timothy B. Smith : une majorité d’insiders profite des mécanismes de redistribution sociale tandis qu’une minorité d’outsiders reste engluée dans le chômage et la précarité, le mérite de ce livre étant de démontrer comment les ratés de l’éducation et de la formation contribuent à entretenir cette situation.

L’horreur « bureaucratique »
Pour finir, il s’en prend à la bureaucratie et à la paperasserie administrative et fiscale qui sont autant d’obstacles à la création d’entreprise et à la réinsertion, les nouveaux dispositifs s’ajoutant aux anciens sans forcément gagner en clarté ni en efficience. Multipliant à loisir les exemples d’absurdités réglementaires ou budgétaires, il pense que les mesures et subventions étatiques de soutien à l’emploi remplissent avec peine leur rôle, alors que des initiatives privées ou associatives peu coûteuses, souvent mal connues et peu soutenues, rencontrent un réel succès avec des rendements bien supérieurs : « small is beautiful » ! Même s’il clôt sa démonstration par une comparaison assassine entre la France et les Etats-Unis, il serait toutefois erroné de voir là un plaidoyer « libéral ». Rendre la réussite professionnelle facile en France, c’est pour lui avant tout rendre la réussite plus facile pour les immigrés, les pauvres, les sans qualifications, les handicapés, bref une préoccupation sociale.
Au final, ce livre est sans tendresse avec la décennie chiraquienne et nos travers franco-français, mais il sait mettre en lumière le courage et les réussites au service des exclus, distribuant au passage plus de satisfecit que de coups de griffe. Et si on peut être peu convaincu par certaines considérations hâtives ou angéliques, l’auteur bouleverse souvent nos certitudes de Français, de militant, voire d’enseignants ! Plus encore, restant fidèle à la démarche qu’il professe, il écrit sans dogmatisme pour nous offrir un essai iconoclaste, parfois désespérant mais intelligent, généreux et stimulant.
Pascal Girard
 

 
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