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1936-2006 : commémorer le Front populaire, par Frédéric Cépède

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Histoire et mémoire. D’hier à aujourd’hui, la façon de célébrer l’anniversaire du Front populaire renseigne sur les relations des socialistes avec leur histoire. Mais, au-delà, qu’en est-il, dans la France de 2006, de la mémoire de la « belle embellie » ? Retour sur le 70e anniversaire, avec cet a
rticle paru dans Recherche socialiste, n°37, en décembre 2006.

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En 2006, le programme des commémorations officielles n’avait pas retenu le 70e anniversaire du Front populaire, pas plus que ne l’avait été le 60 e. La fièvre commémorative qui a saisi notre pays, il y a une vingtaine d’années ne semble retenir que les cinquantenaires et les centenaires ! Mais les choix obéissent à des logiques parfois étonnantes puisque que si le Haut comité des célébrations nationales avait inscrit à son programme les événements politiques et sociaux de 1956 (« année charnière dans le Maghreb, Gaston Defferre fait adopter la loi-cadre sur l’évolution des territoires outre-mer », « la crise du Parti communiste Français », « la tragédie hongroise »…), le cinquantenaire de la victoire du Front républicain en tant que tel ne faisait pas à lui seul l’événement. Faut-il y voir une réticence à célébrer la victoire électorale d’une coalition partisane de gauche ? Ou la confirmation du purgatoire éternel réservé à Guy Mollet dont on ne voudrait garder de son passage à Matignon que les « crises» ? Parions que le retour au pouvoir du général de Gaulle sera « célébré » comme il se doit en 2008. Mais ces anniversaires ne prennent vraiment sens que situés dans un temps plus long, qui permet d’observer les manifestations organisées (ou leur absence) au regard des périodes précédentes, des moments, le contexte ayant en la matière une importance primordiale(1).La mémoire socialiste(2) du Front populaire, dont les avancées comme les échecs ont à la fois nourri le « grand récit socialiste » mais aussi les débats internes sur la nature du réformisme (aller ou ne pas aller au-delà du contrat… ) et la « gestion loyale » du capitalisme (la pause, la non-intervention), est-elle toujours vive ? En 2006, les socialistes, sans surprise, ont célébré le Front populaire ; soulignons que, sans surprise non plus, ils n’ont pas commémoré le Front républicain. On est là au cœur des rapports ambivalents que les socialistes entretiennent avec leur histoire, des tris qu’ils opèrent – qui peuvent prendre différentes formes, de l’amnésie volontaire aux condamnations sans inventaire –, aux héros qu’ils honorent sans nuance Jean Jaurès, Pierre Mendès France, et depuis quelques années Robert Badinter, ou dans une relation plus complexe Léon Blum et François Mitterrand, et plus récemment « d’événements » ou de valeurs qu’ils ne portent qu’à leur crédit, tels les Lumières, la République, les loisirs, ou l’abolition de la peine de mort(3)… Cet article présente dans un premier temps les grandes étapes qui, nous semblent-ils, éclairent le sens pris progressivement par l’événement Front populaire pour les socialistes ; elles posent quelques balises dans l’évolution de leur rapport à leur histoire partisane, et complèteront les réflexions que nous avions amorcées à propos des manifestations autour du centenaire du Parti socialiste. Dans un second temps, nous esquisserons un rapide tour d’horizon de la célébration de ce 70e anniversaire du Front populaire en 2006.

Les socialistes et l’anniversaire du Front populaire(4)
Paradoxalement, durant l’Occupation, c’est le régime de Vichy qui, par ses attaques outrancières contre les ministres du gouvernement de Front populaire qu’il accuse d’être responsables de la défaite, rappelle aux Français « l’embellie » du Front populaire au moment même où bien des acquis sociaux qui avaient commencé à être rognés dès 1938 sont liquidés. Les plaidoiries d’André Le Troquer, Marx Dormoy, mais surtout celle de Léon Blum au procès de Riom, en 1942 – largement diffusée sous forme de brochures clandestines par les résistants socialistes, mais à sa façon relayée par la presse vichyste – constituent un moment fort dans le basculement de l’opinion publique vis-à-vis de Vichy. La défense de Léon Blum, qui revendique tout son bilan et inverse la charge, est pour les socialistes, le signal : ils n’ont pas à rougir de l’action de ceux qu’ils ont délégué au gouvernement en 1936, et au premier rang de celle de Léon Blum, qui est bien, par l’intermédiaire de Daniel Mayer, le chef de la Résistance socialiste. L’ancien président du Conseil autorise le ralliement au général de Gaulle. Léon Blum est relégitimé comme chef des socialistes dans la clandestinité, mais également comme homme politique sur l’échiquier de la nouvelle France qui doit sortir purifiée par sa victoire contre les nazis et ses collaborateurs. Mais il reste et restera contesté par une partie de ses camarades pour la politique qu’il mena à la tête de la coalition de Front populaire(5), notamment pour son refus de passer outre le Sénat, et pour la non-intervention en Espagne.

1946 : un 10e anniversaire problématique
À la Libération, l’essentiel de la législation sociale du Front populaire est repris, et le gouvernement de Gaulle va même plus loin avec les grandes nationalisations que le Front populaire n’avait pas mises dans son programme, les communistes s’y opposant alors au nom de l’union avec les radicaux. C’est dans le contexte d’un tripartisme où les socialistes détiennent les ministères les plus exposés (Ravitaillement, Économie, Intérieur, Agriculture…) qu’intervient le 10e anniversaire du Front populaire. En mai-juin 1946, il ne donne pas lieu, côté socialiste, hormis quelques articles dans la presse (Le Populaire, La Revue socialiste…), et des manifestations locales, à de grandes célébrations. Tout au plus, au lendemain de la victoire sur le fascisme, le rassemblement unitaire du 12 février 1934 est-il fêté à Paris et dans des villes de province, nous signale Le Populaire. C’est que l’unité organique dans les conditions contenues dans le programme du Parti ouvrier français (POF) élaboré par le PC en 1945 et soumis à la SFIO vient d’être rejetée : placer le futur parti sous le patronage de Lénine et de Staline, la provocation a été peu appréciée par l’énorme majorité des socialistes. Au XXXVI e congrès d’août-septembre 1946, il n’est pas question de 1936 dans les discours de Léon Blum et de Guy Mollet. Dans le vote des délégués, les avancées théoriques (notamment l’ouverture du Parti aux nouvelles forces issues de la Résistance, et l’acceptation de la participation régulière des socialistes au gouvernement même hors de circonstances exceptionnelles) du chef du Front populaire sont recalées et l’orthodoxie doctrinale relégitimée, même si le nouveau secrétaire général, Guy Mollet, a bien du mal à imposer la volonté du Parti au groupe parlementaire et aux ministres. Dans ce contexte, célébrer 1936 c’est pour les socialistes, au-delà d’une victoire électorale, devoir tirer les leçons d’un échec… Quant à réveiller les souvenirs d’un mouvement social « spontané », l’urgence de la reconstruction est plus qu’une incitation à la prudence, et les communistes ne sont pas plus enclins à réactiver la mémoire du Front populaire sur ce terrain.
Au début des années 1950, la Fédération nationale des Clubs de loisirs Léo Lagrange, créée par Pierre Mauroy et des socialistes, perpétue pourtant la mémoire du ministre de la Jeunesse et des sports du Front populaire, et met l’accent sur la grande réforme de 1936 qui a changé la vie de millions de travailleurs.
La mort de Léon Blum en 1950 constitue un moment de réactualisation d’une mémoire positive de l’action du président du Conseil du Front populaire, dans un parti qui a réintégré Marceau Pivert et ses amis, très critiques à l’égard de l’action en 1936.

1956 : Front républicain, Front populaire, même combat
Le Parti socialiste SFIO, quelques mois après son 50e anniversaire (avril 1955), dont nombre de manifestations prévues n’ont pas vu le jour faute d’investissement des militants après la grave crise de la CED, ne semble pas avoir prévu de grandes initiatives pour le 20e anniversaire du Front populaire qui s’annonce. Après la dissolution voulue par Edgar Faure, le lancement du « Front républicain » (qui exclut les communistes) en 1955, par les radicaux-socialistes autour de Pierre Mendès France et de Jean-Jacques Servan-Schreiber, et de son hebdomadaire L’Express, rejoint par les socialistes, est pourtant un écho au Front populaire. Pour la campagne électorale, la fédération socialiste de la Seine commande à Frip une affiche qui prend pour modèle une affiche de juin 1936 qui proclamait « C’est bientôt qu’on va régler les comptes ». La courte victoire électorale, le 2 janvier 1956, marque un retour des socialistes au pouvoir dans le cadre d’une nouvelle coalition. Guy Mollet, président du Conseil, inscrit au programme de son gouvernement la troisième semaine de congés payés, la retraite pour les Vieux, et d’autres mesures sociales, que fort de l’expérience de 1936, il fait voter dans les premières semaines.
Dès les premiers mois de son gouvernement, dans sa communication politique, le président du Conseil Guy Mollet va inscrire son action à la tête du Front républicain dans l’héritage et le prolongement du Front populaire. Il se pose en héritier de Léon Blum. Le Parti socialiste relaie le message et publie plusieurs articles et brochures célébrant le 20e anniversaire (occasion de rappeler sa place d’hier à aujourd’hui dans la lutte contre le fascisme et les régimes totalitaires, et les campagnes de calomnies dont Léon Blum a été l’objet, comme à l’encontre de Salengro). Il édite après la chute du gouvernement une affiche qui proclame : « Nous partons en vacances ! Vous aussi… Grâce à qui ? 1936 : Léon Blum… 1956 : Guy Mollet… Grâce à l’action d’un grand parti organisé au service des travailleurs, le Parti socialiste SFIO ». Le PS revendique son double bilan et la continuité de son action, et s’incarne dans la politique en faveur des « loisirs », du temps gagné pour les travailleurs . L’héritage de 1936, c’est Léon Blum et les loisirs.

Cependant, dans les faits, la SFIO délègue essentiellement à l’association des vétérans socialistes l’organisation des soirées et réunions anniversaires.

Les années 1960 : Imposer Léon Blum et le Front populaire
Les premiers travaux universitaires sur l’événement (Louis Bodin, Georges Dupeux, Jean Touchard) ou d’historiens-acteurs (Georges Lefranc) commencent à paraître au début des années 1960. Le 25 e anniversaire, en 1961, a été fêté discrètement par le groupe des Vétérans socialistes, sans véritable écho dans le Parti socialiste
Le 30e anniversaire (1966) intervient quelques mois après l’élection présidentielle qui a vu François Mitterrand, candidat unique de la gauche, mettre de Gaulle en ballottage. La gauche socialiste est cependant profondément divisée et les leçons qu’elle tire de l’exercice du pouvoir toujours conflictuelles. La mise en place de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), qui célèbre par la bouche de son président, François Mitterrand, les acquis de 1936, et les débats entre rénovateurs (Gaston Defferre) et partisans d’un parti pur et dur (Guy Mollet) prennent largement le pas sur les commémorations à la SFIO. Elle publie une brochure de Jules Moch (Naissance et croissance du Front Populaire), qui fut directeur du cabinet de Léon Blum en 1936, en forme de bilan de l’action des socialistes, et on note quelques articles dans une presse socialiste de plus en plus exsangue (Le Populaire quotidien ne paraît plus que trois fois par semaine et les hebdomadaires Démocratie et Le Populaire-Dimanche ont fusionné avec lui).
C’est en fait du côté de « l’histoire » – mais pas très loin de la politique – que le grand colloque sur « Léon Blum, chef de gouvernement », organisé par la Fondation nationale des sciences politiques, en mars 1965, fait évoluer les esprits en confrontant des acteurs politiques (essentiellement les animateurs de l’association des amis de Léon Blum dont beaucoup comme Daniel Mayer ou Charles-André Julien ont quitté la SFIO en 1958) et des historiens.

Les paroles des historiens commencent à donner à l’objet d’étude Front populaire une densité. Et les socialistes ont encore des leçons à tirer de l’expérience de Léon Blum, pour le présent et le passé. Dans les conclusions du colloque, Ernest Labrousse, historien, mais lui aussi socialiste (il participa à La Revue socialiste de 1946 à 1954), remet 1936 à son place, entre mouvement social particulier, échec économique, union de la gauche et contraintes extérieures :
« Sans diminuer le rôle de l’homme, de l’équipe, des “acteurs”, [ce colloque] les situe dans une atmosphère. […] Les gauches venaient de se retrouver, dans un pays, où les liens sentimentaux ont toujours été étroits entre le socialisme et la République. […] Ce fut donc, en 1936, l’enthousiasme de la bataille électorale. Puis celui de la victoire. Un enthousiasme sans pareil, un mouvement ouvrier sans pareil, des cortèges sans pareils. »
« Ce qui compte, c’est la nature de la mutation brusque et durable accomplie durant ce temps. On ne voudrait ici ni sous-estimer ni surfaire celle de 1936. Répétons-le : ce n’est ni 89 ni 48. Mais il faut bien reconnaître qu’alors est né dans le concours des forces populaires et de l’action gouvernementale, dans une sorte de commotion ressentie par le pays tout entier, ce que l’un des rapporteurs a justement défini comme “le droit commun de la condition ouvrière transformée aujourd’hui”. »
Mais le bilan était aussi à nuancer, sur le plan économique comme en matière de politique étrangère : « Le gouvernement s’est trouvé aux prises avec d’autres forces, avant tout avec la contre-révolution espagnole soutenue par le fascisme et le nazisme. L’attitude de l’Angleterre limitait d’une façon considérable sa liberté de mouvement. [.…] Là encore il a fallu composer avec les contraintes. C’est-à-dire non seulement avec une opinion française divisée, mais avec toute l’Europe : avec les réticences ou les refus de l’Europe alliée, avec l’action de l’Europe hostile(6).»

1976 : Au temps du programme commun, retrouver l’idéal du Front populaire
L’histoire est aussi un enjeu politique. On le vérifie dès le lendemain du congrès d’Épinay, quand les premières brochures d’histoire du Parti socialiste sont publiées par le secteur formation dont Pierre Joxe à la charge. Principale rédactrice de Histoire du mouvement socialiste, Colette Audry, qui milita à la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert et au CASPE (Comité d’action socialiste pour l’Espagne), auteur en 1955 d’un essai critique remarqué, Léon Bum ou la politique du juste, devenue animatrice du courant de Jean Poperen, développe dès lors une lecture « critique » de la politique menée par gouvernement dirigé par Blum. Jules Moch s’insurge – il finira par démissionner en 1975, ne reconnaissant plus son parti – tout comme les anciens de la SFIO, il récuse les attaques contre la politique de Léon Blum en 1936… et les jugements négatifs à l’encontre de la SFIO en général. L’histoire est chaude chez les socialistes, dans un Parti qui a chevauché l’utopie de 1968 hostile à toute démarche réformiste et avec les Assises en 1975 achève le rassemblement en son sein de la gauche non communiste.
La célébration du 40e anniversaire du Front populaire s’inscrit pourtant dans un temps d’union entre radicaux, communistes et socialistes, et où le PS reconquiert la première place à gauche. François Mitterrand se situe comme le continuateur de Léon Blum dont il a adopté au début des années 1970 le chapeau noir à large bord. Mais à l’heure du programme commun, et du rapport de forces avec le PC, le Front populaire n’est pas la meilleure référence, même si Blum est sacralisé. En octobre 1975, le premier secrétaire déclare à L’Unité : « L’héritage dont je me réclame est tout entier contenu dans le discours prononcé à Tours par Léon Blum, qui constitue à mon avis une référence majeure […] Si le choix de Tours s’imposait à nouveau, je ferais celui de Blum(7). »
À l’initiative de Philippe Machefer, animateur du Centre d’histoire du socialisme, le PS organise un grand colloque « Autour de 1936 : le parti socialiste et l’exercice du pouvoir ». S’y retrouvent une nouvelle génération d’historiens (Jean-Pierre Rioux, Alain Bergounioux, Pascal Ory) et toujours des acteurs (Daniel Mayer, Robert Verdier, Albert Gazier). Toutes les sensibilités s’expriment, de Colette Audry à Georges Lefranc, en passant par des mendésistes comme Daniel Ligou. Ce colloque marque une célébration par les historiens de la gauche non communiste du Front populaire. Les actes sont publiés dans un numéro spécial de la Nouvelle revue socialiste.
En ce temps où la poussée gauchiste n’est pas encore retombée complètement et où la concurrence avec le PC est âpre, c’est aussi une façon pour le PS d’affirmer son identité ; mais il souffre toujours d’une mauvaise conscience révolutionnaire.

1986 : les leçons de l’exercice du pouvoir
À gauche, le succès de la « stratégie d’Épinay » et l’effondrement du PC qui précède celui du monde communiste ont fermé une longue parenthèse, celle de la domination communiste commencée en 1936 et affirmée depuis la Libération. Le Parti socialiste apparaît comme la seule force d’alternance à la droite lors des élections, dans un paysage social fragmenté. La victoire le 10 mai 1981 de François Mitterrand a réactivé les souvenirs du Front populaire : quand François Mitterrand va fleurir la tombe de Jaurès au Panthéon, les premiers gestes du Premier ministre Pierre Mauroy sont pour honorer la mémoire de Léon Blum à Jouy-en-Josas(8). Ses premières mesures, cinquième semaine de congés payés, lois sociales, 39 heures, création du ministère du Temps libre, forte présence des femmes au gouvernement,… s’inscrivent aussi dans la continuité de 1936. Plus fort encore, en obtenant la participation des communistes au gouvernement d’union de la gauche, Pierre Mauroy va plus loin que Léon Blum. Dans de nombreuses communes, la mémoire de Léo Lagrange, et dans une moindre mesure celle de Suzanne Lacore, sont honorées.
Le 50e anniversaire du Front populaire en 1986 intervient quelques semaines après la défaite des socialistes aux législatives, et le début de la première cohabitation. Cette concordance permet au Parti socialiste de mettre en garde le peuple de gauche contre les attaques de la droite contre les acquis sociaux de 1981… et de 36. Pour l’occasion, le PS a affrété un train spécial (manifestation imaginée par le MJS de Nanterre) qui refait le trajet des premiers congés payés vers les plages, destination Ouistreham (Normandie). À son bord, des débats avec des témoins Gérard Jaquet, Robert Verdier, Colette Audry, et des historiens. C’est en tandem et vélos, invités à s’habiller en costumes et maillot de bain d’époque, que les participants rejoignent les plages à l’invitation de Louis Mexandeau et d’Yvette Roudy, députés du Calvados. Mais comme Pierre Mauroy, ancien Premier ministre qui dépose, le 6 juin, jour anniversaire de la prise de fonction de Léon Blum, – une gerbe au pied de la statue commandée par la gauche (dont la place définitive n’est pas encore fixée à Paris), c’est surtout le chef du gouvernement du Front populaire qui est célébré par les socialistes.

1996 : l’effacement ?
Depuis mai 1981, l’exercice du pouvoir par la gauche dans la durée, les cohabitations, les alternances répétées, ont déplacé les lignes de fracture politiques de la société française déjà mises à mal en 1958 par l’apparition du gaullisme. En mai 1996, la commission histoire du Parti socialiste organise des réunions pour le 60e anniversaire. La principale manifestation a lieu en septembre à Narbonne, dont Léon Blum fut député de 1929 à 1940, avec l’arrivée d’un train à vapeur à bord duquel ont pris place, depuis Toulouse, Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, et plusieurs centaines de militants. Le meeting du soir réuni près de 2000 personnes.
Mais constatons que quelques mois après le grand mouvement social de l’hiver 1995, le Front populaire n’a pas provoqué une effervescence commémorative particulière. Les grandes heures de la gauche ne peuvent plus être des moteurs pour l’action présente ; les leçons à tirer des événements appartiennent aux historiens, les militants ne semblent plus accorder une grande place à cette identité ou culture partisane, qui n’est pas non plus relayée par des appareils eux aussi moins soucieux d’histoire que d’actions pour le présent. Et en cette année 1996, la recherche universitaire s’intéresse aussi très peu au Front populaire.
Pourtant, chaque retour des socialistes au pouvoir s’accompagne de mesures qui font écho à 1936, et en revendique au moins l’héritage : les 35 heures, mesure phare du gouvernement Jospin en 1997, mises en place par Martine Aubry, dans la polémique qu’elles suscitent avec la droite, jouent sur la mémoire et le patrimoine de la gauche. Et, invités à classer les grands événements de l’histoire socialiste, les délégués des congrès socialistes, en 1997, 2000 et 2003, plaçaient à chaque fois largement en tête le Front populaire devant l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981(9). Comme en amour, la première fois ne s’oublie pas.

L_HEBDO_FRONT_POP_20062006 : Quelle commémoration du Front populaire ?
En 1977, faisant dans la revue Esprit le bilan au final « pauvret » des célébrations du 40e anniversaires du Front populaire, Jean-Pierre Rioux évoquait « le cadavre dans le placard ». Nous étions alors dans une crise de l’Union de la gauche suscitée par la progression du PS par rapport au PC (qui venait d’abandonner la référence à la dictature du prolétariat) et les polémiques sur « l’actualisation du programme commun ». Cependant, l’anniversaire du Front populaire qui s’annonçait dans un de ces rares moments d’union des trois principaux partis de gauche (PS, PC et MRG), aurait pu susciter débats et réflexions sur les enseignements de 1936. Las, s’interrogeait l’historien, « verrions-nous naître une gauche sans mémoire active ? » Il mettait en lumière le fait que le Front populaire appartenait à l’histoire de la gauche sans en nourrir la réflexion, comme si les questions posées par la première expérience d’exercice du pouvoir ne valaient pas la peine d’être encore abordées. La presse, selon ses inclinations, avait bien publié quelques articles, mais pour Jean-Pierre Rioux, « son tour d’horizon trahit plus qu’une gène ou un refus, un désintérêt général », même « Le Monde, institution nationale, n’a pas donné une de ces longues enquêtes balancées dont il a le secret ». Quant aux citoyens, ils avaient dû faire avec de maigres expositions, mettant en valeur les travaux des historiens, quand les éditeurs avaient peu pris le risque de beaux livres de mémoires ou d’histoire, et la télévision rien en 1976.
Ces interrogations sur la gauche et sa mémoire, Jean-Pierre Rioux les a poursuivies dans maints articles de revues, communications à des colloques qui ont fourni la matière à des livres dont Tombeaux pour la gauche (Presses de Science po, 1996) – qui analyse la mémoire des grandes figures de Jaurès, Blum, Mollet, Mendès France et Mitterrand – intéresse en premier chef les socialistes. Plus largement, le titre d’un de ses derniers livres La France perd la mémoire(10) sonne comme un cri d’alarme. Il n’est pas l’heure d’un bilan exhaustif de 2006, mais peut-être est-il déjà utile de jeter un premier regard sur cet anniversaire, en creusant toujours un plus cette question des rapports des socialistes à leur histoire, mais plus largement, en cette période assez particulière des relations « doloristes » des Français à l’histoire nationale.
Deux colloques, le premier à l’université de Dijon à l’initiative de Serge Wolikow(11) en juin, le seond à Paris en décembre sous l’impulsion de Gilles Morin et du CHS du XXe siècle de Paris 1. Les actes attendus permettront de mesurer les avancées historiographiques. Mais, sous réserve d’inventaire, constatons que cet anniversaire n’a pas donné lieu à une véritable mobilisation de la communauté « scientifique » en région, pour chercher à donner une lecture plus large du Front populaire que pouvait autoriser le retour récent de Moscou de nombreuses archives des organisations actrices du Front populaire (LDH, Grand Orient de France, PS SFIO, CGT… ).
Publications, expositions, dossiers spéciaux dans les hebdomadaires politiques, reportages et téléfilms de fiction à la télévision, le 70e anniversaire du Front populaire a suscité, de façon assez surprenante au regard de la faible mobilisation de 1996, de nombreuses initiatives éditoriales et culturelles… Les magazines d’histoire grand public ont consacré des dossiers à cet anniversaire (L’Histoire, Historia… ). Même si la « gauche » a certainement plus activé la mémoire du Front populaire (voir le numéro spécial de L’Humanité-Dimanche avec un intéressant CD contenant des films des manifestations du Front populaire), ces initiatives tendent à montrer qu’en 2006, cet « événement » (12) parle à la société française toute entière, au-delà du seul « peuple de gauche ». L’entrée dans l’ère des « loisirs » avec les deux semaines de congés payés généralisées par le gouvernement Léon Blum est largement mise au crédit du bilan des socialistes. Nos premiers « sondages » sur Internet semblent montrer que cet anniversaire quand il est célébré localement l’est surtout dans des villes ou des collectivités administrées par des socialistes (Lille, Rennes… ) ou des communistes (Montreuil). Dans le mouvement syndical, seule la CGT par l’entremise de son Institut d’histoire sociale a pour l’instant marqué plus spécialement cet anniversaire.
En 2006, il n’était pas possible que les socialistes manquent le 70e anniversaire du Front populaire. Le PS a proposé (après un article et une interview d’Alain Bergounioux dans deux numéros de L’Hebdo en mai) à ces nouveaux adhérents une exposition (1936 en 36 panneaux) dans la réalisation a été confiée à l’OURS. Elle a depuis été montrée dans des fédérations et sections socialistes, et dans des villes administrées par des socialistes. Autour de lui, des clubs et associations ont profité de cet anniversaire pour organiser réunions, journées d’études, débats(13). Soulignons l’initiative du Cercle Léon Blum qui a organisé à l’Assemblée nationale le 17 mai 2006 un colloque consacré à « Léon Blum une figure dans l’histoire (14) », réunissant historiens, politistes et responsables politiques, notamment le premier secrétaire François Hollande. Les débats retranscrits montrent que l’histoire est toujours chaude sur certains épisodes : rapport au marxisme avant et après Tours, attitudes des socialistes en juillet 1940, évolution doctrinale de Léon Blum dans À l’échelle humaine… autant d’épisodes qui rappellent qu’il fut aussi souvent minoritaire dans son parti, et qu’il ne parvint pas à convaincre la majorité de ses camarades. Et que les travaux des historiens peuvent heurter les récits forgés dans le cadre militant.

La mémoire est là, mais elle est complexe
Il semble, une nouvelle fois, que le Parti communiste et ses entourages ont montré plus d’enthousiasme à célébrer l’événement. La mairie de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, a présenté une exposition réalisée par Serge Wolikoff et Jean Vigreux, à partir notamment des fonds des archives de l’Institut CGT d’histoire sociale, et du musée de l’Histoire vivante à Montreuil. Les choix iconographiques et les légendes mettent en scène une geste « communisante » qui tend à faire du Parti de Thorez l’élément dynamique de la coalition, avec cependant nous semble-t-il un tropisme des sources qui masque le caractère unitaire de nombreuses manifestations et grèves spontanées, où les symboles faucilles et marteau, trois flèches et bonnet phrygien cohabitent sans directives des organisations mères. Les photographies publiées dans Le Populaire et L’Humanité se différencient alors très peu – au moment où Léon Blum invite les travailleurs à reprendre le travail, et Maurice Thorez à « savoir terminer une grève », car « tout n’est pas possible » répondait Marcel Gitton à Marceau Pivert – mais les socialistes ne disposant pas de revue hebdomadaire du type Regards, cette mémoire visuelle est moins accessible. À gauche toujours, le moment Front populaire est rappelé dans des discours, mais sans en faire l’occasion de confrontations en forme de leçons pour le passé et le présent. On en reste à des visions « classiques » qui, d’un côté, pour faire vite, font du PC l’élément moteur du Front populaire (n’est-il pas « l’inventeur » du slogan ?) et de Léon Blum un chef de gouvernement poussé par les masses, dirigées par eux, à agir plus loin que le programme sans rappel des raisons de la timidité du programme du Rassemblement, et de l’autre, une mauvaise conscience vis-à-vis de la pause, de la guerre d’Espagne, et une focalisation sur Blum et les loisirs. Mais un regard croisé sur les anniversaires socialistes et communistes depuis 1946 permettrait d’aller plus loin dans l’analyse de l’évolution de leur rapport à cet événement, et à l’histoire en général, quand on constate que les responsables des deux partis évitent bien souvent sur ces thèmes les confrontations directes.

Front populaire : histoire et mémoire 2006

Avant même le 70e anniversaire, deux téléfilms de très bonne facture sont venus rafraîchir la mémoire nationale sur le moment Front populaire : Thérèse et Léon, de Claude Goretta, sur un scénario de Jean-Michel Gaillard, avec Dominique Labourier et Claude Rich dans les rôles-titres, a été diffusé sur France 2 en 2001 (et aujourd’hui disponible en DVD), et en 2003, et Les Beaux jours, de Jean-Pierre Sinapi et Anne-Marie Carois, avec Clotilde Courau et Bruno Lochet sur France 3 en 2003. Léon Blum, « héros socialiste » d’un côté, les loisirs et l’air du temps, de l’autre, ces deux téléfilms, dans une reconstitution soignée, offrent un résumé de ce que la mémoire nationale retient aujourd’hui de cet été 36. Mais que demander de plus quand dans le même temps des documentaires réalisés à partir d’images d’archives (fixes et animées), des témoignages éclairés par des points de vue d’historiens sont régulièrement diffusés et évoquent cette page d’histoire (comme celui d’Yves Jeuland et Valérie Combard, Le siècle des socialistes, réalisé à l’occasion du centenaire du Parti socialiste en 2005 et diffusé sur les chaînes du service public) ? France Culture a aussi joué son rôle. Certes, Léon Blum et le Front populaire n’ont pas encore eu droit à un docu-fiction dans la veine de celui qui fut récemment consacré à Charles de Gaulle mais gageons que des projets sont en cours.
Du côté des éditeurs, le cru 2006 plus encore que par le passé est marqué par des publications de grande qualité (cf. encadré ci-dessous), où la photographie, après les affiches, tient désormais une grande place. Les centres d’intérêt de la recherche semblent s’être déplacés : l’accent est mis sur le Front populaire vécu par les citoyens, sa réalité sur le terrain, sur le sens de la coalition. Mais en attendant les actes des colloques et une lecture plus approfondie, nous n’irons pas plus loin.
Les échos qui nous parvenus(14) des manifestations et débats organisés à Paris, en banlieue et province avec les auteurs de livres parus sur le Font populaire vont dans le sens d’un intérêt du public pour l’événement. Certes ces réunions attirent plus une population de retraités et/ou de militants, mais les retombées en famille de ces débats assurent la diffusion de cette histoire. Certainement plus dans des milieux de gauche.
Ce soixante-dixième anniversaire du Front populaire ne concerne plus essentiellement que les acteurs. Ce tour d’horizon montre que l’événement Front populaire existe encore, il vit, il véhicule des images dans l’inconscient collectif et l’histoire nationale. Il semble de plus en plus dépassionné pour le grand public, même si entre socialistes, et à gauche, sa « mémoire » peut devenir plus chaude : mais les controverses demeurent très feutrées.
L’appropriation très récente par le candidat Nicolas Sarkozy des grandes figures de la gauche, Jaurès, Blum – jusqu’à Guy Mocquet – en appelant leurs mannes en arguant notamment du fait qu’eux s’adressaient aux travailleurs, aux « catégories populaires », ne va pas encore jusqu’à en revendiquer la politique. Mais vu les évolutions rapides des références, peut-être osera-t-il bientôt se réclamer de l’héritage du Front populaire… Suggérons aux socialistes de s’en féliciter.

Frédéric Cépède

(1) Dans une bibliographie qui commence à être importante sur ce thème, nous renvoyons au livre remarquable de François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003, 303 p.Voir également : Politiques du passé, usages politiques du passé dans la France contemporaine, sous la direction de Claire Andrieu, Marie-Claire Lavabre et Danielle Tartakowsky et Concurrence des passés, usages politiques du passé dans la France contemporaine, sous la direction de Maryline Crivello, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt, Publications de l’université de Provence, 2006.
(2) Rappelons ici les thèses de Fabrice d’Almeida, Histoire et politique en France et en Italie : l’exemple des socialistes, 1945-1983, préface de Gaetano Arfe, École Française de Rome BEFAR 302, 1998, 629 p et de Philipe Marlière, La mémoire socialiste, l’Harmattan, 2007.

(3) Voir nos articles sur le centenaire du Parti socialiste, Recherche socialiste, n°33, 2005, et « L’histoire à contribution ou le long remords de l’histoire », paru dans Concurrence des passés, usages politiques du passé dans la France contemporaine, op. cit.
(4) Cette partie reprend et développe des éléments que nous avons utilisés dans l’exposition que nous avons préparée pour le Parti socialiste et qui a été présentée du 14 au 6 juin au siège du PS : «le Front populaire 1936-2006. Histoire et mémoire socialistes ».
(5) Fabrice d’Almeida, « Léon Blum héros socialiste », Recherche socialiste, n°10, septembre 1999.
(6) Ernest Labrousse, in Léon Blum, Chef de gouvernement, Armand Colin, Cahiers de la revue français de science politique, 1967, p.415-417.
(7) Interview de François Mitterrand, L’Unité, n°177, 31 octobre 1975. Notre communication « Les usages du discours de Léon Blum à Tours », au colloque de Dijon, 2004, à paraître.
(8) Pierre Mauroy, « Vous mettrez du bleu au ciel », Mémoires, Plon, 2003, 507 p.
(9) Cf nos articles avec Fabrice d’Almeida dans Recherche socialiste 12, 13, 22.
10) Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, Perrin, 2006, 223 p.
(11) Les actes viennent d’être publiés : Le Pain, La paix, La libératé. expériences et territoires du Front populaire, Xavier Vigna, Jean Vigreux et Serge Wolikow (dir.), Éditions sociales, 2006, 367 p.
(12) Voir la récente exposition « L’événement, les images comme acteurs de l’histoire », présentée au Jeu de Paume du 16 janvier au 1er avril 2007, qui dans les 5 événements-témoins de cette évolution retient les « loisirs » en 1936, avec la guerre de Crimée, l’aviation avec la traversée de la Manche par Louis Blériot, la chute du mur de Berlin en 1989, et le 11 septembre 2001. Catalogue édité par la Galerie du Jeu de Paume et les éditions Hazan, 2007, 159 p.
(13) Signalons le colloque organisé, les 20 et 21 octobre 2006, à la Fondation Jean-Jaurès, à son initiative et celle du groupe socialiste d’entreprises d’éducation populaire et de l’OURS : « 1936-2006 : Agir pour mieux vivre ensemble?Quel programme pour l’éducation populaire».
(14) Cercle Léon Blum, Léon Blum, une figure dans l’Histoire, CGM – Mémoire(s) du socialisme, 2006, 127 p.
(14) Nous tenons à remercier Danielle Tartakowsky et Jacques Girault de leurs réflexions sur les manifestations autour de cet anniversaire. Sans oublier Gilles Morin et Éric Lafon qui ont été les premiers lecteurs de cet article et qui nous ont fait bénéficier de leurs précieuses remarques.

ENCADRE

Bibliographie Front populaire 2006 (dans l’ordre de parution) :
1936 et les années du Front populaire, avant-propos de Serge Wolikow, textes de Jean Vigreux, Institut CGT d’histoire sociale, Culture et Diffusion avec la participation du Musée de l’histoire vivante à Montreuil, Album couleur, 2006, 80 p
Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky, « L’Avenir nous appartient ! », Une histoire du Front populaire, Larousse, 2006, 21 x 27 cm, 240 p, 35 e
Jacques Girault, Au-devant du bonheur, Les Français et le Front populaire, CIDE, 2006, 192 p.
Le Front populaire des photographes, Françoise Denoyelle, François Cuel, Jean-Louis Vibert-Guigue, Préface de Jean-Noël Jeanneney, Éditions terre bleue, 2006, 224 p.
Michel Winock (avec Séverine Nikel), La Gauche au pouvoir, L’héritage du Front populaire, Fayard, 2006, 190 p.
Patricia Latour, Le 36 des femmes, et Le Peuple de 36 par Roger Bordier, Le Temps des Cerises, 2006, 232 p.
Jean-Michel Leterrier, Sous l’usine la plage, à la conquête du temps libre, Éditions Les points sur les i, Le Kremlin Bicêtre, 2005, 96 p.
Jean-Pierre Rioux présente, Le Front populaire, Tallandier, l’Histoire, 2006, 159 p.
Antoine Prost, Autour du Front populaire. Aspects du mouvement social au XXe siècle, Le Seuil l’univers historique, 2006, 351 p.
« Autour du Front populaire », Recherche socialiste 35, juin 2006.
Cercle Léon Blum, Léon Blum, une figure dans l’Histoire, Mémoire(s) du socialisme, 2006, 127 p.
Serge Berstein, Léon Blum, Fayard, 2006, 600 p.

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